(La Haye) Vladimir Poutine, qui recevra la semaine prochaine à Moscou le président chinois Xi Jinping, est désormais visé par un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) pour le crime de guerre de « déportation illégale » d’enfants ukrainiens lors de l’invasion russe.

La CPI, qui siège à La Haye, a également émis un mandat d’arrêt contre Maria Lvova-Belova, commissaire présidentielle russe aux droits de l’enfant, pour des accusations similaires.

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La commissaire russe aux droits des enfants, Maria Lvova-Belov

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a salué une décision « historique, qui marque le début d’une responsabilité historique », le Kremlin juge de son côté qu’elle n’a aucune valeur juridique.

« La Russie, comme un certain nombre d’États, ne reconnaît pas la compétence de ce tribunal. Par conséquent, du point de vue de la loi, les décisions de ce tribunal sont nulles et non avenues », a déclaré le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov.

Pour le président américain Joe Biden, ce mandat d’arrêt est « justifié » et envoie « un signal très fort » même si la CPI n’est pas reconnue non plus par Washington.

Les États-Unis n’ont « aucun doute sur le fait que la Russie commet des crimes de guerre et des atrocités en Ukraine, et nous avons été clairs pour dire que les responsables devront rendre des comptes », avait réagi un peu plus tôt un porte-parole du département d’État, tout en soulignant que la CPI agit de manière « indépendante ».

Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a salué « une décision importante » et le Royaume-Uni une mesure qui va « obliger ceux qui sont au sommet du régime russe, y compris Vladimir Poutine, à rendre des comptes ».  

Plus de 16 000 enfants ukrainiens ont été déportés vers la Russie depuis l’invasion le 24 février 2022, selon Kyiv, et beaucoup auraient été placés dans des institutions et des foyers d’accueil.

Le président de la CPI, Piotr Hofmanski, a déclaré que la délivrance des deux mandats d’arrêt est un « moment important dans le processus de justice » pour la Cour.

Les mandats, délivrés à la suite d’une demande du procureur de la CPI, Karim Khan, concernent « les crimes de guerre présumés de la déportation d’enfants des territoires ukrainiens occupés vers la Fédération de Russie » depuis le début de l’invasion, a-t-il précisé.

M. Hofmanski a ajouté que l’exécution de ces mandats dépendait « de la coopération internationale ».

« Butin de guerre »

Citée par l’agence de presse russe Ria Novosti, Maria Lvova-Belova a assuré qu’elle poursuivrait son travail malgré la décision de la CPI.

La délivrance d’un mandat d’arrêt à l’encontre d’un chef d’État en exercice, membre du Conseil de sécurité de l’ONU, est une étape sans précédent pour la CPI, créée en 2002 pour juger les pires crimes commis dans le monde.

Son procureur enquête depuis plus d’un an sur d’éventuels crimes de guerre ou contre l’humanité commis pendant l’offensive russe.

M. Khan a déclaré en mars après une visite en Ukraine que les enlèvements présumés d’enfants faisaient « l’objet d’une enquête prioritaire ».

« Les enfants ne peuvent pas être traités comme un butin de guerre », a-t-il déclaré.

Le contenu des mandats d’arrêt est gardé secret « afin de protéger les victimes », a précisé M. Hofmanski.  

« Néanmoins, les juges de la chambre chargée de cette affaire ont décidé de rendre publique l’existence des mandats dans l’intérêt de la justice et d’empêcher la commission de crimes futurs ».

Ni la Russie ni l’Ukraine ne sont membres de la CPI, mais Kyiv a accepté la compétence de la cour et travaille avec le bureau de M. Khan. La Russie nie les allégations de crimes de guerre par ses troupes et selon les experts, il est peu probable qu’elle remette des suspects.

Vendredi, Moscou et Pékin ont par ailleurs annoncé la visite de Xi Jinping en Russie du 20 au 22 mars.

MM. Xi et Poutine signeront une déclaration commune pour approfondir leur « relation stratégique entrant dans une nouvelle ère », a déclaré le conseiller diplomatique du Kremlin, Iouri Ouchakov.

Alors que Washington soupçonne la Chine d’envisager des livraisons d’armes à la Russie, ce que Pékin et Moscou démentent, les deux dirigeants parleront aussi de coopération « militaro-technique », toujours selon le Kremlin.

MiG-29 slovaques

Cité par les agences de presse russes, M. Ouchakov a aussi salué la « retenue » de M. Xi sur le conflit en Ukraine, dossier sur lequel Pékin se présente en médiateur malgré sa proximité avec Moscou.

Le ministre chinois des Affaires étrangères Qin Gang, lors d’un entretien téléphonique jeudi avec son homologue ukrainien Dmytro Kouleba, a exhorté Kyiv et Moscou à reprendre « au plus vite » des pourparlers de paix, selon Pékin.

Un appel au cessez-le-feu aussitôt sanctionné par les États-Unis, selon lesquels il revient à consolider les avancées russes et à donner au Kremlin une chance de préparer une nouvelle offensive.  

En février, la Chine avait déjà publié un document exhortant Moscou et Kyiv à tenir des pourparlers de paix.

À Bratislava, la Slovaquie a par ailleurs annoncé vendredi sa décision de fournir treize chasseurs MiG-29 à Kyiv, après que la Pologne a annoncé la livraison à l’Ukraine d’un « premier lot » de quatre de ces appareils.

Ces livraisons « vont nous aider à défendre efficacement notre ciel », a indiqué le ministre ukrainien de la Défense, Oleksiï Reznikov, dans un message de remerciement à la Slovaquie publié sur Twitter. « Une coalition aéronautique est en train de se former ! ».

Enfin, à la veille de l’expiration samedi de l’accord international sur l’exportation des céréales d’Ukraine, l’ONU a indiqué que les discussions à ce sujet se poursuivent.

« Besoin de F-16 »

Mais le président ukrainien Volodymyr Zelensky doit encore convaincre les Occidentaux de livrer des appareils modernes : F15, F16, F18, F35 américains, Rafale français, Eurofighter européen, capables d’intervenir en appui d’offensives au sol, avec des frappes dans la profondeur de l’ennemi.

Les J16 et J20 chinois sont inaccessibles, compte tenu des liens entre la Chine et la Russie.

Le porte-parole de l’armée de l’air ukrainienne, Yuriy Ignat, n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler sa liste de courses : « Nous avons besoin de F-16. Mais les MiG contribueront à renforcer nos capacités ».

Washington a pour autant désamorcé tout espoir en ce sens : la livraison d’avions américains « n’est pas sur la table », a rappelé John Kirby, porte-parole de la Maison-Blanche. Madrid a confirmé vendredi une position semblable.

Les Pays-Bas n’excluent pas en revanche de céder quelques F-16. Et après avoir refusé en janvier de livrer des Eurofighter Typhoon ou des F-35, le premier ministre britannique Rishi Sunak a ensuite promis de former des pilotes de chasse ukrainiens « aux normes de l’OTAN ».

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Un F-16 américain

Mais s’il a demandé à l’armée d’étudier de possibles livraisons d’avions, il n’a évoqué qu’une option « à long terme ».

Nick Brown fait valoir que les chasseurs slovaques et polonais sont équipés de systèmes électroniques aux normes de l’OTAN et que l’aviation ukrainienne utilise déjà des missiles air-sol américains AGM-88 HARM.

« Mais au final, ces dons s’ajoutent à l’existant sans changer le rapport de force capacitaire », assure-t-il. « La capacité de l’Ukraine à déployer sa puissance aérienne et à réellement peser sur le champ de bataille demeure contrainte. »

Moscou, de son côté, minimise l’évènement, estimant que ces chasseurs ne sauraient « affecter l’issue » du conflit. « Bien entendu, ces équipements seront détruits », a ajouté le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.