Les Nord-Irlandais célébreront lundi l’accord du Vendredi saint, un anniversaire crucial, malgré une instabilité politique chronique exacerbée par les effets du Brexit

De quoi s’agit-il ?

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Septembre 1994 : des résidants de Belfast West sont rassemblés près du site de l’explosion d’une voiture piégée devant le quartier général du Sinn Féin, le principal parti nationaliste.

Signé à Belfast le 10 avril 1998, l’accord du Vendredi saint a mis fin à 30 ans de guerre civile en Irlande du Nord. Ce conflit entre la communauté catholique (nationalistes, favorables à une réunification avec la République irlandaise) et protestante (loyalistes, pour un maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni) a été marqué par des centaines d’attentats à la bombe et a fait 3500 morts, dont près de 2000 civils. Il faudra quatre ans de discussions ardues, supervisées par Londres, Dublin et Washington, pour que la paix soit enfin négociée. « Un énorme soulagement », se souvient Duncan Morrow, 30 ans à l’époque, aujourd’hui professeur de politique à l’Université d’Ulster.

Pourquoi on en parle ?

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Des soldats britanniques surveillent le défilé de l’Ulster Defence Association, organisation paramilitaire protestante loyaliste, à Belfast, en août 1972.

Parce qu’on célèbre lundi le 25anniversaire de cet accord historique. Occasion, pour l’Irlande du Nord, de réfléchir au chemin parcouru, par l’entremise d’activités communautaires, de conférences universitaires et d’évènements médiatiques. Non négligeable : le président américain Joe Biden se rendra à Belfast mardi, pour souligner « l’incroyable progrès depuis la signature de l’entente », signature qui n’aurait pas été possible sans le soutien des États-Unis.

Quel bilan ?

INFOGRAPHIE LA PRESSE

« Incroyable progrès » ? Sans aucun doute. Parce que la paix tient toujours, envers et contre tout. « Si vous me demandez si ce fut un succès, la réponse courte est oui », résume l’historien James Smyth, professeur émérite de l’Université Notre Dame (Indiana). Malgré tout, l’Irlande n’est toujours pas guérie de ses blessures. Les communautés catholique et protestante vivent toujours en vase clos, dans des quartiers parfois séparés par des « murs de la paix », et la majorité des écoles ne sont pas mixtes. Sans oublier les groupes paramilitaires qui continuent à faire du grabuge d’un côté comme de l’autre, quoique de façon marginale et sans appuis véritables. « Ce sont encore des mondes séparés, même s’il y a des efforts d’intégration », note David Mitchell, expert en processus de paix au Trinity College de Dublin.

Instabilité chronique

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À Belfast, les « murs de la paix » représentent encore aujourd’hui un symbole de division entre les communautés catholique et protestante.

En outre, la situation politique est encore loin d’être parfaite. Malgré la création d’une Assemblée nord-irlandaise en 1998 (Stormont), l’instabilité reste chronique. L’accord du Vendredi saint indique que le gouvernement doit être dirigé conjointement par un parti loyaliste et un parti nationaliste. Toute décision doit être prise en binôme et chaque camp possède un droit de veto lui permettant de bloquer les décisions qui ne l’avantagent pas, ou de quitter le gouvernement, ce qui a pour effet de paralyser régulièrement le Parlement. « Au départ, le veto avait été conçu pour s’assurer de conserver un niveau acceptable de confiance mutuelle entre les deux parties, explique Duncan Morrow. Mais son usage s’est étendu, au point qu’on l’utilise désormais à toutes les sauces. C’est devenu un enjeu en soi. » Le problème, ajoute James Smyth, « est que cette structure est le noyau l’accord du Vendredi saint »…

Un Parlement bloqué

Entre 2017 et 2020, Stormont a cessé de fonctionner après que le principal parti nationaliste, le Sinn Féin, eut quitté le bateau pour une question de politique linguistique. L’Assemblée est de nouveau suspendue depuis un an, avec la démission du Democratic Unionist Party (DUP, loyaliste) pour protester contre le « Protocole nord-irlandais ». Cette disposition du Brexit a été conçue pour éviter le retour d’une frontière dure entre l’Irlande du Nord et la République irlandaise (pays membre de l’Union européenne), qui aurait pu réveiller de vieux fantômes. Mais elle implique une frontière mouvante entre l’Angleterre et l’Irlande du Nord, ce qui déplaît fortement aux loyalistes, qui craignent de devenir des citoyens britanniques de seconde zone – d’où l’opposition du DUP. Une version moins contraignante du protocole (le « cadre de Windsor ») a été signée fin février entre Londres et l’Union européenne. Mais le DUP continue de boycotter l’assemblée. « Le Brexit a clairement tout compliqué », affirme Duncan Morrow.

Quelle suite ?

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En avril 2021, les policiers sont intervenus dans une rue de Belfast pour neutraliser un affrontement entre nationalistes et loyalistes.

Selon les observateurs, il est probable que le DUP réintégrera le gouvernement après les élections municipales prévues en mai, moyennant quelques concessions mineures de la part de Londres. Ne pas le faire nuirait à sa cause, estime David Mitchell. « Ultimement, ils savent qu’ils doivent retourner, parce qu’à long terme, ce genre de blocage va donner des munitions à ceux qui plaident pour la réunification des deux Irlande, ce qu’ils ne souhaitent pas. » De plus en plus de voix plaident pour un système politique plus stable, ce qui impliquerait forcément des modifications à l’accord du Vendredi saint. Mais toute solution de rechange à l’entente actuelle serait susceptible de raviver des rancœurs au sein de la société nord-irlandaise, et de provoquer de nouvelles violences. En d’autres mots, c’est l’impasse. « Le système du partage du pouvoir est dysfonctionnel, conclut James Smyth. Certains le comparent à du sectarisme institutionnalisé et ils n’ont pas tort. Mais pour l’instant, je ne vois pas d’autre solution. C’est quand même mieux que le conflit armé… »