(Paris) La mobilisation en France contre la réforme des retraites voulue par le président Emmanuel Macron a encore baissé jeudi, pour la douzième journée nationale de manifestations, à la veille du verdict du Conseil constitutionnel sur ce texte très impopulaire.

Après quasiment trois mois de contestation, et alors que les autorités prévoyaient entre 400 000 et 600 000 manifestants, elles en ont finalement dénombré 380 000, à comparer avec les 570 000 recensés le 6 avril et 740 000 le 28 mars.

Le puissant syndicat CGT a lui recensé « plus de 1,5 million » de personnes dans les rues, contre « près de deux millions » et « plus de deux millions » lors des deux échéances précédentes.

À Paris, la préfecture a fait état de 42 000 manifestants, contre 400 000 pour la CGT.

Les grands écarts de chiffres entre syndicats et autorités sont fréquents lors des manifestations en France.

L’essoufflement se confirme ainsi pour la troisième semaine consécutive, le nombre de manifestants diminuant partout dans le pays. Notamment à Rennes (ouest), où de 6500 à 15 000 personnes selon les sources ont défilé, mais aussi à Clermont-Ferrand (centre, 6000 à 10 000).

« Contrairement à ce qu’espère le gouvernement, le mouvement est loin d’être fini », a estimé la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, quand la gauche, via le socialiste Olivier Faure, a assuré qu’aucune « abdication » n’était à attendre.

Comme presque à chaque fois, des heurts ont éclaté avec les forces de l’ordre, notamment à Nantes (ouest), où elles ont répliqué avec des grenades lacrymogènes aux projectiles jetés par des manifestants, mais aussi à Lyon (centre-est) ou Rennes (ouest).

Des scènes similaires se sont produites dans la capitale, où des grévistes ont également envahi brièvement le siège du géant du luxe LVMH, dans le quartier chic des Champs-Élysées, avec fumigènes et sifflets.

À Paris, la préfecture faisait état en début de soirée de 44 interpellations au total et de 10 blessés parmi les forces de l’ordre.

À Aurillac (centre), « des effigies du président de la République » ont été jetées dans un feu en fin de manifestation, selon la préfecture qui dénonce des « faits inacceptables ».

« Baroud d’honneur »

Le Conseil constitutionnel, logé dans le Palais Royal, au cœur de Paris, a été placé sous haute surveillance, alors qu’il a déjà été le théâtre jeudi matin d’une brève tentative de blocage.

Le préfet de police a émis un arrêté interdisant de jeudi 12 h (heure de l’Est) à samedi 2 h (heure de l’Est) toute manifestation aux abords de l’institution.

Selon une note du renseignement territorial consultée par l’AFP, 131 actions sont attendues vendredi soir en réaction à la décision du Conseil, qui doit annoncer s’il valide ou censure, partiellement ou en totalité, la réforme qui prévoit notamment le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans.

Côté grèves, les perturbations sont nettement moins importantes qu’au début de la mobilisation dans les transports aérien, ferroviaire et le métro. À Paris, la Tour Eiffel a été de nouveau fermée pour la 10e fois en 12 journées de mobilisation.

Les salariés des raffineries se sont aussi mobilisés, sans toutefois perturber notablement l’activité des sites.

Dans la capitale, une nouvelle grève reconductible des éboueurs, qui n’avait pas ramassé les poubelles pendant trois semaines, a débuté jeudi à l’appel de la CGT.

Pour les opposants, cette douzième marche « est une espèce de baroud d’honneur », résume Martine Girard à Marseille. « Même s’il y a peu d’espoir, on veut montrer qu’on n’est pas dupe », explique cette enseignante de 50 ans, qui reconnaît qu’il y a « beaucoup moins de gens mobilisés parce que financièrement ça devient dur ».

« Esprit de concorde »

Après un passage en force de la loi le 20 mars, le gouvernement ayant utilisé une disposition constitutionnelle permettant l’adoption d’un texte sans vote, la décision du Conseil est la dernière étape avant une promulgation et une entrée en vigueur du texte, que le président Macron souhaite d’ici la fin de l’année.

Il semble peu probable que le Conseil, chargé de vérifier la conformité des lois à la Constitution, annule la totalité de la réforme. Mais il pourrait élaguer la loi substantiellement et renforcer les arguments de l’intersyndicale en faveur d’un retrait ou d’une suspension de la réforme.

Le Conseil doit aussi se prononcer sur la recevabilité d’un référendum d’initiative partagée demandé par l’opposition de gauche, une procédure devant recueillir 4,87 millions de signatures pour permettre l’organisation d’une consultation sur le texte.

Depuis les Pays-Bas, M. Macron a tendu mercredi la main aux syndicats, avec qui il entretient des relations très tendues, en annonçant qu’il leur proposerait une rencontre « dans un esprit de concorde » après la décision du Conseil.

La France est l’un des pays européens où l’âge de départ à la retraite est le plus bas, sans que les systèmes soient complètement comparables.

Les opposants à la réforme la jugent « injuste », notamment pour les femmes et les salariés aux métiers pénibles.

L’exécutif justifie le projet par la nécessité de répondre à la dégradation financière des caisses de retraite et au vieillissement de la population.