(Istanbul) Sur le tarmac de l’ancien aéroport international Atatürk d’Istanbul, c’est un raz-de-marée : la foule portant les drapeaux rouges de la Turquie et les effigies du président afflue sans discontinuer pour écouter Recep Tayyip Erdogan, à une semaine de l’élection présidentielle.

« Istanbul ! si vous nous dites d’accord, c’est sûr, on va gagner ! », lance le président turc, qui pour ce dernier week-end de campagne a tenu, comme son rival, un rassemblement monstre dans la capitale économique du pays dont il fut maire de 1994 à 1998.

Erdogan, 69 ans dont 20 au pouvoir, et son principal adversaire Kemal Kiliçdaroglu, à la tête d’une coalition de six partis, espèrent tous deux l’emporter au premier tour le 14 mai.

M. Erdogan a choisi dimanche le site de l’ancien aéroport délaissé depuis 2018 au profit du troisième aéroport d’Istanbul, projet grandiose au bord de la mer Noire, à l’image des méga-chantiers qu’il affectionne.

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Recep Tayyip Erdogan

La veille, M. Kiliçdaroglu avait opté pour la rive asiatique, dans un parc bordant la mer de Marmara.

En vertu de la loi électorale, tous deux pourront encore tenir un meeting samedi prochain, à la veille du vote, et seront à Ankara, la capitale politique. En revanche les sondages sont interdits depuis mercredi.  

Toutes générations confondues, beaucoup sont venus en famille dimanche applaudir pendant une heure et demie le chef de l’État, escortés d’enfants en bas âge, ou par groupes de jeunes, l’immense majorité des filles et des femmes portant au minimum le foulard, parfois le voile intégral noir.  

« Le rassemblement du siècle », avait annoncé le parti AKP du président Erdogan, qui a avancé le chiffre de plus d’un million de participants et avait annoncé l’affrètement de 10 000 bus au départ des 39 municipalités d’Istanbul.

« Eux n’ont même pas planté un arbre ni posé une seule pierre », lance le chef de l’État qui fait huer l’opposition par la foule. « Nous, on a remodelé ce pays ».

C’est ce qui a motivé Salih et Yeter Öztürk, un couple de petits fonctionnaires de 45 et 32 ans : « Moi, j’admire ce qu’il a fait, les grands travaux », dit Salih qui énumère hôpitaux, ponts, autoroutes… « Si l’opposition passe, on est foutu ! », lâche-t-il dans un grand rire.

« Il a fait tout ce qu’il fallait faire », ajoute Cuma Demir, 44 ans, ballons blancs en mains, venu avec son épouse Zübeyde et leurs deux fillettes. « On était mal en point avant, aujourd’hui on a tout : la liberté et le confort ».

« Moi, je suis honorée d’être ici », sourit Hayriye Kefal, 68 ans, transportée avec son handicap par les bus de l’AKP. « Il a su servir ce pays », estime-t-elle, assise au sol avec ses drapeaux et ses pancartes.

« Raison et vertu »

La veille, devant plusieurs dizaines de milliers de partisans tout aussi enthousiastes, Kemal Kiliçdaroglu a voulu insuffler un vent de nouveauté.

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Kemal Kiliçdaroglu

« Êtes-vous prêts pour le changement ? Êtes-vous prêts à apporter la démocratie ? », a lancé le président du CHP, le parti fondé par Mustafa Kemal Atatürk, première force politique d’opposition, devant une marée de drapeaux turcs.

« Ensemble, nous dirigerons le pays avec raison et vertu. J’apporterai le printemps, je vous le promets ! »

Le très populaire maire CHP d’Istanbul Ekrem Imamoglu, qui a ravi la mégapole à l’AKP en 2019, a longuement pris la parole.   

M. Imamoglu a été empêché de se présenter à la présidence par une condamnation judiciaire dont il a fait appel.  

« Droits, loi, justice », « Erdogan voleur ! », scande la foule.

« À cause d’Erdogan, des innocents sont en prison », déplore Yunus Mensur, ouvrier en retraite de 76 ans, drapeau turc en main, qui espère qu’une victoire de l’opposition ramènera « la liberté et la démocratie ».

« Kiliçdaroglu fera ce qui est juste », prophétise Sabit, 55 ans, qui refuse de donner son patronyme « car nous ne sommes pas libres : notez-le ».

Malgré ses 74 ans, Kiliçdaroglu a attiré de nombreux jeunes : « Il est comme nous. Il comprend les gens », s’enthousiasme Aleyna Erdem, 20 ans, le front ceint d’un bandeau rouge au nom du candidat.

« Kiliçdaroglu va élever le statut des femmes », affirme Müjde Tosun, employée de supermarché de 24 ans, cheveux couverts d’un épais voile noir.

Pour la jeune femme, venue du quartier conservateur d’Eyüp, les positions ultra-laïques et anti-foulard du CHP, « c’est du passé ».

« Je ne m’inquiète pas pour le voile », mais seulement d’une réélection du président Erdogan. Si ça arrive, « nous sommes foutus », lâche-t-elle.