Ce n’est que partie remise en Turquie, où un deuxième tour sera nécessaire, selon toute vraisemblance, afin de déterminer le gagnant de l’élection présidentielle entre le président sortant, Recep Tayyip Erdoğan, et le chef de l’opposition, Kemal Kılıçdaroğlu, une première historique. Le résultat ultime est plus que jamais entre les mains du candidat arrivé en troisième position, Sinan Oğan.

« Nous allons avoir 15 jours difficiles devant nous en cas de deuxième tour », a-t-il prévenu dimanche en refusant de dire quel candidat il soutiendrait.

La décision de M. Oǧan, critique des deux principaux partis tout au long de cette campagne, est difficile à prévoir et pourrait faire pencher la balance en faveur de l’un ou l’autre des deux camps, indiquent les experts consultés par La Presse.

« Il va être vraiment celui qui va décider seul du résultat final », croit le directeur de l’Observatoire du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand, Sami Aoun.

  • M. Erdoğan salue la foule à la sortie de sa résidence d’Istanbul.

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    M. Erdoğan salue la foule à la sortie de sa résidence d’Istanbul.

  • Partout en Turquie, des supporteurs du président sortant sont descendus dans la rue, comme ici, à Istanbul.

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    Partout en Turquie, des supporteurs du président sortant sont descendus dans la rue, comme ici, à Istanbul.

  • Des partisans célèbrent après que les premiers résultats électoraux sont sortis, à Istanbul.

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    Des partisans célèbrent après que les premiers résultats électoraux sont sortis, à Istanbul.

  • Des supporteurs de Kemal Kılıçdaroğlu, principal adversaire du président sortant, sont rassemblés à Ankara.

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    Des supporteurs de Kemal Kılıçdaroğlu, principal adversaire du président sortant, sont rassemblés à Ankara.

  • Le président sortant, Recep Tayyip Erdoğan, et sa femme, Emine Erdoğan, saluent une foule de supporteurs réunie devant le quartier général du Parti de la justice et du développement, à Ankara, en Turquie.

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    Le président sortant, Recep Tayyip Erdoğan, et sa femme, Emine Erdoğan, saluent une foule de supporteurs réunie devant le quartier général du Parti de la justice et du développement, à Ankara, en Turquie.

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D’autant plus qu’avec près de 95 % des urnes dépouillées, M. Erdoǧan obtenait 49,6 % des voix, selon l’agence Anadolu – contrôlée par le gouvernement –, dont les résultats sont contestés, affirme-t-il.

Une situation volatile

« La situation reste volatile. Si les résultats finaux donnent 49 % à Erdoğan, l’appui de Sinan Oǧan n’aura pas une grande importance. Il est aussi probable, même avec son appui pour l’opposition, qu’une partie de ses votants peuvent voter pour Erdoğan, car Sinan Oğan est un nationaliste », explique Atagün Kejanlıoglu, doctorant en droit à McGill originaire de la Turquie.

La pente semble donc difficile à remonter pour le principal adversaire du président sortant, le chef de l’opposition, Kemal Kılıçdaroğlu, qui recevait 44,7 % des appuis dimanche soir.

Ce dernier « doit d’abord avoir l’appui de Sinan Oğan, qui est contre l’appui du parti prokurde à Kılıçdaroğlu », estime Atagün Kejanlıoglu. « Ensuite, il doit convaincre les électeurs qu’il peut diriger le pays même si la coalition d’Erdoğan est majoritaire au Parlement. »

« Si jamais les électeurs sont angoissés puisqu’ils sentent que l’opposition, qui consiste en six partis nationalistes, laïques, islamistes, va se quereller par après, est-ce qu’ils vont se dire : je préfère un Erdoğan qui va nous assurer une certaine stabilité ? », évoque de son côté Sami Aoun.

Un deuxième tour, une première

Si elle est confirmée, la tenue d’un deuxième tour serait une première dans l’histoire centenaire de la République de Turquie.

La commission électorale turque a indiqué qu’elle ne rendrait pas les résultats publics avant que le décompte ne soit achevé, mais a précisé qu’elle communique les résultats en direct aux partis politiques.

Ce qui n’a pas empêché les candidats de faire valoir leurs avis sur les résultats de la journée, aussi incertains soient-ils.

« Si notre nation demande un second tour, nous l’acceptons volontiers. Et nous allons absolument gagner ce second tour », a lancé le candidat de l’opposition, Kemal Kılıçdaroğlu, au cœur de la nuit, depuis Ankara, où il était entouré des représentants des six partis de sa coalition.

PHOTO CAGLA GURDOGAN, REUTERS

Le candidat à l’élection présidentielle Kemal Kılıçdaroğlu s’adresse aux membres de son parti lors d’un rassemblement à Ankara.

Recep Tayyip Erdoǧan venait juste avant lui de s’annoncer « largement en tête », mais se disait « prêt à respecter » les résultats d’un second tour.

La majorité des bulletins de vote des 3,4 millions d’électeurs vivant à l’étranger devaient encore être comptés, selon le conseil, ce qui rendait la tenue d’un deuxième tour encore incertaine.

M. Erdoǧan, âgé de 69 ans, a gouverné la Turquie en tant que premier ministre ou président pendant plus de 20 ans. À l’approche de l’élection, des sondages d’opinion suggéraient que le président, de plus en plus autoritaire, accusait un léger retard sur son adversaire.

Une surprise, un leadership terni

Ces résultats préliminaires sont donc une surprise, affirme Atagün Kejanlıoglu, surtout qu’« après tant de crises, Erdoğan n’a perdu que 4 % des votes ».

La course était largement centrée sur des questions nationales comme l’économie, les droits civils et la gestion du tremblement de terre de février qui a fait plus de 50 000 morts. Tout pointait donc vers une campagne difficile pour M. Erdoǧan.

PHOTO CAN EROK, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des résidants d’Antioche, ravagée par les séismes de février, suivent la soirée électorale depuis leurs tantes dans un camp de réfugiés.

Or, pour la première fois dans sa carrière politique, la « première impression, c’est que M. Erdoǧan ne s’impose plus comme le maître de la scène turque, comme il l’a fait pendant plus de 20 ans », explique Sami Aoun. « En ce moment, on pourrait dire qu’il est dans une situation où son leadership a perdu de sa magie », ajoute-t-il.

Tandis que le président sortant espérait remporter un nouveau mandat de cinq ans, M. Kılıçdaroğlu, âgé de 74 ans, a fait campagne sur la promesse de ramener le pays sur une voie plus démocratique et de redresser sa situation économique, minée par une inflation élevée et la dévaluation de sa monnaie.

Plus de 64 millions de personnes, y compris les électeurs étrangers, avaient le droit de voter dimanche. Cette année marque par ailleurs les 100 ans de l’établissement de la Turquie en tant que république – un État moderne et laïque né sur les cendres de l’Empire ottoman.

Avec l’Agence France-Presse