La Cour européenne des droits de l’homme prise pour cible par le gouvernement britannique

Le gouvernement britannique, qui veut pouvoir expulser des migrants vers le Rwanda sans leur permettre de présenter une demande d’asile, reproche à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de lui mettre des bâtons dans les roues.

Le premier ministre Rishi Sunak réclame que les règles régissant le tribunal soient révisées de manière à empêcher qu’il puisse intervenir en urgence pour empêcher de tels renvois.

Le politicien, qui était de passage mardi en Islande pour participer à un sommet du Conseil de l’Europe, devait rencontrer à cette occasion la présidente du tribunal, Siofra O’Leary, pour plaider sa cause.

« Il faut faire plus pour coopérer au-delà des frontières et des juridictions pour faire cesser l’immigration illégale », a indiqué le chef du gouvernement britannique, qui reproche notamment à la CEDH d’avoir délivré une injonction temporaire l’année dernière empêchant le départ d’un premier avion chargé de demandeurs d’asile vers le continent africain.

Lors d’un voyage en mars au Rwanda, la ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni, Suella Braverman, a assuré qu’elle était « encouragée » par les discussions menées avec le tribunal pour réformer le système en place et empêcher ce type d’injonction.

François Crépeau, ex-rapporteur des Nations unies sur les droits des migrants qui enseigne à l’Université McGill, note que le gouvernement britannique n’a « aucune chance » d’obtenir gain de cause sur ce point.

Il est impensable, dit-il, que la capacité de la CEDH de prononcer des injonctions temporaires pour empêcher que des « dommages irréparables » puissent être causés à un individu soit limitée à la demande de la Grande-Bretagne.

Chris Daw, avocat britannique très critique des positions du gouvernement en matière d’immigration, note « qu’aucun autre pays européen » sous la juridiction du tribunal ne demande une telle réforme.

Ce que le gouvernement conservateur cherche à faire, c’est de mettre la table pour légiférer d’une manière qui est incompatible avec la Convention européenne des droits de l’homme.

Chris Daw, avocat britannique

Un projet de loi sur « l’immigration illégale », officiellement introduit en mars pour décourager les migrants de traverser la Manche à bord d’embarcations de fortune, précise que le gouvernement pourra ignorer les injonctions du tribunal européen.

Une telle démarche serait en fin de compte déclarée comme une violation des obligations juridiques du pays, note M. Daw, qui voit les sorties du premier ministre sur le fonctionnement de la CEDH comme un stratagème visant à convaincre la population britannique que son gouvernement a cherché un compromis avant d’opter pour la ligne dure.

Un succès peu probable

M. Crépeau note qu’il n’existe pas de mécanisme forçant les pays relevant du tribunal européen à appliquer ses jugements, même s’ils sont très largement suivis en temps normal.

Si la Grande-Bretagne décide ultimement de ne pas respecter une injonction contraire à ses plans en matière d’immigration, le gouvernement va dire qu’il applique sa propre loi et que la CEDH peut aller se faire voir.

François Crépeau, de l’Université McGill

Peu de pays européens lanceraient la pierre à Londres puisque nombre d’entre eux « souhaitent en secret » suivre une approche aussi restrictive, souligne M. Crépeau.

Alice Donald, professeure de l’Université Middlesex spécialisée sur la question des droits de la personne, note que la Grande-Bretagne est l’un des pays européens qui respectent traditionnellement le plus scrupuleusement les décisions du tribunal.

Bien que le gouvernement conservateur cherche à véhiculer l’idée que les injonctions temporaires prononcées contre lui sont fréquentes, la réalité est tout autre, dit-elle.

Il n’y en a que deux par année en moyenne, souligne la chercheuse, notamment parce que le seuil légal à satisfaire est difficile à atteindre.

« Il faut qu’il existe un risque sérieux et imminent que des dommages irréversibles surviennent », relève Mme Donald, qui ne croit pas non plus à la possibilité que les règles entourant le fonctionnement de la CEDH soient revues, comme le réclame Londres.

Je serais sidérée si quelque chose découlait de cette démarche.

Alice Donald, professeure de l’Université Middlesex spécialisée sur la question des droits de la personne

M. Crépeau estime que le gouvernement conservateur aimerait reproduire le modèle de l’Australie, qui refoule depuis des années vers des îles du Pacifique les migrants arrivant sur ses côtes sans leur permettre de présenter une demande d’asile.

Les politiques restrictives en matière d’immigration plaisent aux partisans du gouvernement tout comme les attaques contre des instances européennes comme la CEDH, dit-il.

« L’objectif ultime reste de mobiliser leur base politique en vue des prochaines élections », conclut le professeur.