La guerre en Ukraine se traduira par un immense défi environnemental pour dépolluer sols, air, cours d’eau, etc. Par contre, d’aucuns y voient l’occasion de doter le pays de bâtiments, systèmes de transport et services publics plus fiables, plus résistants et plus… écologiques.

Dès les premiers jours de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine, le petit hôpital du village d’Horenka, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Kyiv, a été détruit par les bombes. L’alimentation électrique ne fonctionnait plus. Le froid était mordant. Malades et blessés étaient soignés avec les moyens du bord.

PHOTO OLEKSANDR POPENKO, FOURNIE PAR GREENPEACE

Le village d’Horenko a été soufflé dans les premiers jours de la guerre.

Un an plus tard, non seulement l’édifice a été reconstruit, mais aussi il fonctionne à l’énergie solaire. Avec son toit pentu et garni de panneaux solaires alimentant une thermopompe, l’édifice dont la forme rappelle celle d’une grange se distingue facilement sur l’horizon.

Selon une estimation préliminaire faite à l’interne, l’hôpital d’Horenka diminuera ses coûts de chauffage de 80 % grâce à son système d’alimentation hybride.

Chez Greenpeace, Central and East Europe (CEE), on n’est pas peu fier du résultat. La reconstruction de l’hôpital porte la signature de ce groupe écologiste, des organisations Ecoaction, Ecoclub et de la fondation Victory of Ukraine.

La Commission européenne (CE) a fourni les panneaux solaires. En fait, en février 2023, la CE et le fabricant italien Enel ont remis 5700 panneaux solaires de 350 watts l’unité à l’Ukraine.

« Pour nous, l’hôpital d’Horenka est un des premiers exemples de reconstruction écologique. D’autres projets ont été initiés dans la foulée, incluant deux autres hôpitaux et des écoles à Irpine », indique Denys Tsutsaiev, membre de Greenpeace CEE et du projet Green Reconstruction of Ukraine, en entrevue par visioconférence.

Ce dernier et plusieurs autres voient la reconstruction du pays comme une occasion de faire mieux et plus vert.

PHOTO OLEKSANDR POPENKO, FOURNIE PAR GREENPEACE

Denys Tsutsaiev, de Greenpeace CEE

Il faut utiliser ce momentum pour avoir des infrastructures plus durables, utiliser des pratiques d’économie d’énergie, des technologies plus modernes pour ne pas rester embourbés dans les vieux produits et les vieux modes de production d’énergie.

Denys Tsutsaiev, de Greenpeace CEE et du projet Green Reconstruction of Ukraine

« Depuis l’an dernier, les projets avec solutions solaires vont en grandissant. On doit faire en sorte que nos systèmes énergétiques soient plus décentralisés et plus résistants », dit M. Tsutsaiev.

Cette vision des choses vient toutefois avec des questionnements. Notamment sur le fait que ce qui est bâti aujourd’hui pourrait être détruit demain. C’est le dilemme que rappelait le quotidien The Guardian le 31 janvier 2023 en interviewant le dirigeant de l’École d’économie de Kyiv, Tymofiy Mylovanov.

« Faut-il utiliser des matériaux coûteux et durables pour la reconstruction, dans le but de reconstruire en mieux, ou vaut-il mieux, compte tenu du nombre de sans-abri, répartir plus largement les ressources limitées, au risque de répéter les erreurs de l’Allemagne de l’après-guerre et de reconstruire en laid ? », demandait le journal britannique.

À cela, le professeur Mylovanov répondait qu’avant de reconstruire, il fallait au préalable déterminer des règles solides de financement et de qualité des produits.

Un apport local

Autre questionnement : au-delà du geste philanthropique d’Enel et son don de panneaux solaires, on peut se demander si les centaines de milliards injectés dans la reconstruction feront d’abord l’affaire de grandes multinationales tout en laissant des miettes aux entrepreneurs locaux ?

Pour le moment, Denys Tsutsaiev ne voit pas de telle menace à l’horizon. Il souhaite évidemment que les entreprises ukrainiennes participent activement à la relance du pays. Selon un rapport de l’organisme américain USAid, les manufacturiers ukrainiens seraient en mesure de fournir 90 % des matériaux nécessaires à la reconstruction.

« L’utilisation de matériaux de construction fabriqués en Ukraine pourrait contribuer à préserver 100 000 emplois, générer 5,6 milliards en salaires et 4,4 milliards en recettes fiscales », lit-on dans le sommaire du document sorti en 2022.

Nous pourrons aussi appliquer les principes d’économie circulaire. Nous pouvons utiliser jusqu’à 90 % des débris pour construire des édifices neufs. C’est une bonne pratique à apprivoiser.

Denys Tsutsaiev, membre de Greenpeace CEE et du projet Green Reconstruction of Ukraine

L’ingénieure Julie Beauséjour, première vice-présidente, international, de la firme EXP, va dans la même direction. « Les débris des bâtiments sont presque tous récupérables, assure-t-elle. C’est vrai qu’il existe du béton des années 1970, 1980 de mauvaise qualité et non réutilisable. Mais l’acier, la roche, le ciment… beaucoup peuvent être réutilisés. Il ne faut pas sous-estimer la créativité dans leur réutilisation. »

Dépolluer

Il n’y a pas que Greenpeace et les organismes militants qui portent le ballon pour une reconstruction plus verte de l’Ukraine. Les pays et organisations internationales lui venant en aide vont dans la même direction.

Saluant les progrès environnementaux enregistrés en Ukraine depuis 2014 et estimant que « la guerre a infligé à l’environnement des dommages considérables graves », l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) envoyait un message ambitieux en juillet 2022 lorsqu’on lisait dans une de ses publications que la « reconstruction verte d’après-conflit » doit devenir « une nécessité économique en vue de la transformation radicale de l’Ukraine en une économie verte à zéro émission nette ».

Or, en parallèle, un autre grand défi environnemental se dessine à l’horizon : la dépollution et la décontamination.

Que faudra-t-il faire des déchets non récupérables ? Quel impact environnemental auront laissé les explosifs, débris d’équipements lourds éventrés dans l’air, le sol et les cours d’eau ? Et à quels coûts cela se fera-t-il ?

Une évaluation rigoureuse devra attendre la fin des hostilités, estime à ce sujet Denys Tsutsaiev. « Les dommages les plus importants ont été enregistrés dans l’est et le sud du pays, dit-il. Il est difficile pour le moment d’évaluer ces dommages au sol. Même chose avec l’état de la pollution et de ce qui sera recyclable. Nous devrons évaluer les choses au cas par cas au fur et à mesure que les villages seront libérés », dit-il.

En février 2023, à quelques jours du premier anniversaire de l’invasion russe, le ministère de l’Environnement de l’Ukraine avait quant à lui indiqué que les dommages environnementaux étaient estimés à 48 milliards de dollars américains. Ce chiffre est passé à 53 milliards US selon une mise à jour datée du 29 mai. La destruction du barrage hydroélectrique de Kakhovka, le 6 juin, fera encore gonfler cette évaluation.

En savoir plus
  • 1,24 million
    Un an après le début de la guerre, c’est le nombre d’hectares de réserves naturelles touchés en Ukraine. S’ajoutent à cela 3 millions d’hectares de forêts, dont 450 000 sous occupation ou en zones de combat.
    SOURCEs : Carte des dommages environnementaux de Greenpeace et Écoaction
    Pour des générations…
    « Un suivi préliminaire du conflit en Ukraine entrepris l’année dernière par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et ses partenaires laisse présager un héritage toxique pour les générations à venir. »
    SOURCE : site internet du PNUE, 23 février 2023