Samedi matin, alors qu’elle se promenait près du Kremlin, dans le centre de Moscou, Nina L. Khrouchtcheva a croisé une noce devant l’historique Hôtel National.

Lorsqu’elle a demandé s’il était possible de poursuivre la célébration dans un contexte de crise nationale, l’un des invités a répondu : « Nous n’allons pas l’annuler pour rien », a déclaré Mme Khrouchtcheva, experte en relations internationales et descendante de l’ancien dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev.

La vie à Moscou s’est poursuivie dans un calme étudié, même si Evguéni Prigojine, le chef pugnace du groupe de mercenaires Wagner, a pris le contrôle d’un quartier général militaire clé dans la ville de Rostov-sur-le-Don, dans le sud-ouest de la Russie, et a commencé à envoyer des convois de troupes et de véhicules blindés en direction de la capitale avant de se retirer. Le président Vladimir Poutine a continué à travailler au Kremlin, a déclaré aux journalistes son porte-parole, Dmitri Peskov.

Même avant le soulèvement, les autorités s’efforçaient de donner une impression de normalité à Moscou, alors que la Russie menait une guerre brutale en Ukraine, de l’autre côté de la frontière.

Ces efforts se sont poursuivis samedi. Les cinémas et les musées étaient ouverts dans la capitale, et rien n’indiquait qu’on faisait la queue dans les supermarchés pour constituer des réserves.

Pourtant, il y avait quelques signes de la crise. La place Rouge, juste devant les impressionnants murs médiévaux du Kremlin, était fermée au public. Une grande cérémonie de remise de diplômes prévue au théâtre du Kremlin a été annulée, de même que tous les grands rassemblements publics à Moscou et dans d’autres grandes villes.

Autoroutes bloquées et transports perturbés

À Moscou et dans deux autres régions situées entre la capitale et Rostov-sur-le-Don, les autorités ont annoncé l’instauration d’un « régime d’opérations antiterroristes », élargissant ainsi les pouvoirs des forces de l’ordre locales.

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Des policiers russes et des militaires bloquent une partie de l’autoroute qui mène à Moscou.

Le long de ce corridor, les autoroutes ont été bloquées et les transports publics ont également été perturbés à certains endroits.

Le prix des billets d’avion entre Moscou et les capitales voisines où les Russes peuvent se rendre sans visa a grimpé en flèche.

À Rostov, où l’on s’attendait à ce que les forces du gouvernement russe assiègent la ville pour contenir les forces de Prigojine, certains habitants ont fait la queue pour acheter de l’essence et de la nourriture, selon 161.ru, un média local en ligne. Certains supermarchés ont entrepris de limiter la quantité de produits de première nécessité (sel, sucre, farine, etc.) qu’un client pouvait acheter.

Les gens prenaient des photos des chars du groupe Wagner ou discutaient avec ses combattants. Irina Alenina, une habitante de Rostov-sur-le-Don, s’est demandé ce qui se passait dans un groupe d’information local sur Vkontakte, une application de messagerie sociale. « Une guerre civile est en train de commencer, ou quelque chose comme ça », a répondu Alexander Salazov.

PHOTO REUTERS

Des combattants du groupe Wagner quittent le quartier général du district militaire sud pour retourner à leur base, dans la ville de Rostov-sur-le-Don, en Russie.

La télévision et les journaux d’État ont rendu compte des évènements en temps réel, abandonnant la tradition consistant à diffuser en boucle le ballet Le lac des cygnes jusqu’à ce que la crise du moment soit passée.

Des souvenirs refont surface

Certains Russes se souviennent de crises similaires, notamment des éruptions périodiques qui ont marqué l’effondrement de l’Union soviétique au début des années 1990.

« Je me souviens qu’à l’âge de 5 ans, je me rendais à l’école maternelle et que des chars tiraient sur la Maison-Blanche à la télévision », écrit Dmitri Dakhine sur Vkontakte, faisant référence au bombardement de ce qui était à l’époque le siège du Congrès des députés du peuple de Russie, à Moscou. « Aujourd’hui, j’ai 35 ans et il se passe encore quelque chose de grave. »

Une partie du calme pourrait être attribuée au soutien apporté à M. Poutine. Olga Roudeva, 64 ans, s’est dite d’avis que la confiance dans le dirigeant russe avait rendu la situation actuelle très différente de l’agitation qui avait suivi la tentative de coup d’État contre Mikhaïl Gorbatchev en 1991.

Guide touristique à Voronej – l’une des villes par lesquelles est passé le groupe Wagner en route vers Moscou samedi avant que Prigojine ne dise qu’il avait ordonné de faire demi-tour –, Olga Roudeva nous a affirmé en entretien téléphonique qu’à l’époque, les gens avaient peur de l’inconnu. En revanche, elle s’apprêtait à sortir se promener et ses petits-enfants étaient allés se baigner dans le parc. Elle a convenu qu’il y avait des files d’attente devant les stations-service, mais a suggéré que cela ne reflétait pas tant l’inquiétude que le désir des gens de simplement faire quelque chose en réaction aux nouvelles.

À Moscou, dans le hall d’exposition du Manège, tout près des murs du Kremlin, c’était le dernier jour d’une exposition d’œuvres du peintre nationaliste et patriotique Vassili Nesterenko, qui avait pour thème la protection que Dieu avait longtemps assurée à la Russie.

Il y avait une longue file d’attente pour entrer, a raconté Mme Khrouchtcheva, qui a écouté les bavardages des visiteurs qui attendaient. « Ils discutaient de notre grandeur et de notre patriotisme, du fait que Dieu est avec nous, que le Kremlin ne nous laissera pas souffrir et qu’il ne se passera rien de mal. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

Lisez le texte original sur le site du New York Times, sur abonnement (en anglais)