(Paris) Le dirigeant biélorusse Alexandre Loukachenko semble avoir remporté une victoire de prestige en négociant l’accord entre Vladimir Poutine et Evguéni Prigojine, mais il pourrait en regretter le prix en voyant arriver chez lui l’encombrant chef du groupe paramilitaire Wagner.

Dans une déclaration surprise samedi soir, le service de presse de Loukachenko a indiqué qu’il avait passé la journée à négocier avec Prigojine, avec l’aval du président russe, obtenant finalement que le patron de Wagner stoppe son avance sur Moscou.

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Le président russe Vladimir Poutine a reçu son homologue biélorusse Alexandre Loukachenko au Kremlin, le 9 mai.

L’accord représente un coup d’éclat pour Loukachenko, qui dirige son pays d’une main de fer depuis près de 30 ans et fait figure de paria en Occident, depuis les élections très contestées de 2020 et après son soutien à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Le chef de l’État, 68 ans, est également confronté à des questions lancinantes sur sa santé, après être apparu bien mal en point lors des cérémonies de commémoration de la victoire sur l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, à Moscou le mois dernier. Avant de disparaître plusieurs jours.

Au terme de l’accord négocié, Prigojine doit vivre en exil en Biélorussie, a annoncé le Kremlin, sans préciser s’il amènerait avec lui des membres de sa milice.

L’appel téléphonique où, selon la présidence biélorusse, Poutine a remercié Loukachenko, a dû sonner comme une douce musique aux oreilles de l’homme fort de Minsk.

Mais pour Katia Glod, de l’European Leadership Network à Londres, Loukachenko a surtout hérité d’une patate chaude. « Je ne pense pas que ce soit la volonté de Loukachenko. Je pense qu’il a été utilisé par le Kremlin », a-t-elle déclaré à l’AFP.

Loukachenko « acculé »

Sa présence en Biélorussie posera « de multiples risques », ajoute-t-elle, dans un pays où la loyauté des forces de sécurité est d’une importance capitale après les élections de 2020, qui avaient déclenché un mouvement de manifestations et une brutale répression. « Le seul avantage que pourrait tirer le dirigeant biélorusse serait d’utiliser les hommes de Prigojine comme une armée personnelle contre une éventuelle révolte ».

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Le chef du groupe Wagner, Evguéni Prigojine

L’idée que le chef du groupe de mercenaires le plus connu du monde s’installe en Biélorussie n’enchante d’ailleurs pas ses voisins.

Le président lituanien Gitanas Nauseda, dont le pays accueille le sommet de l’OTAN le mois prochain, a averti que l’alliance devrait renforcer ses frontières orientales « si Prigojine ou une partie du groupe Wagner se retrouvent en Biélorussie avec des plans et des intentions peu clairs ».

Depuis 2020, Loukachenko est de plus en plus dépendant du Kremlin pour sa survie politique, apparaissant comme le vassal de Poutine. Et dans ce que l’opposition considère comme un coup majeur porté à la souveraineté de la Biélorussie, il héberge désormais des armes nucléaires tactiques russes.  

« Placer des armes nucléaires sur le territoire biélorusse signifie l’annexion au ralenti de la Biélorussie par la Russie », relève William Alberque, de l’Institut international d’études stratégiques (IISS). « Je pense que Loukachenko se sent déjà acculé. Évidemment, si Poutine lui dit “ fais-moi une faveur ”, il le fera dans l’espoir d’obtenir un effet de levier ».

Pour l’opposition biélorusse, dont la dirigeante Svetlana Tikhanovskaïa s’est exilée au lendemain d’élections qu’elle dit avoir remportées, la dépendance de Loukachenko vis-à-vis de la Russie rend sa décision dangereuse.

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La meneuse de l’opposition biélorusse, Svetlana Tikhanovskaïa

« Pari risqué »

« Prigojine n’est pas un cadeau pour Loukachenko car Poutine, l’autocrate, ne pardonnera jamais l’humiliation qu’il a subie », affirme l’ex-ministre de la Culture biélorusse Pavel Latushko, désormais dans l’opposition.

« C’est une petite victoire tactique, artificielle et superficielle pour Loukachenko qui pourrait se transformer en un problème stratégique », a-t-il ajouté sur la chaîne d’opposition polonaise Telegram Nexta.

La répression interne s’est intensifiée, avec quelque 1500 prisonniers politiques, selon le groupe de défense des droits de l’homme Viasna.  

Selon Katia Glod, le règne de Loukachenko repose sur deux piliers : la violence et le soutien de la Russie. Or « il est clairement inquiet maintenant, car le Kremlin n’est pas aussi fort qu’il semblait l’être », souligne-t-elle.

Hanna Liubakova, de l’Atlantic Council, relève pour sa part que la position de Loukachenko pourrait être renforcée par sa médiation. Mais « à plus long terme, son régime en subira les répercussions ».

Car s’il a fait preuve d’une « loyauté inébranlable » envers le Kremlin, il a fait un « pari risqué » sur la victoire rapide de la Russie en Ukraine. « Avec l’affaiblissement de l’autorité de Poutine, le régime de Minsk pourrait se retrouver avec un soutien et un appui réduits de la Russie ».