Les émeutes se sont calmées en France. L’appareil judiciaire met les bouchées doubles pour traiter les dossiers des quelque 3600 personnes interpellées. Quels impacts ces violences et leur élément déclencheur, la mort d’un jeune homme abattu par un policier, pourraient-ils avoir sur le pays ? Le point en cinq questions.

Comment ces violences se comparent-elles au passé ?

En 2005, deux adolescents sont morts en fuyant les policiers, ce qui a déclenché d’importantes émeutes dans les banlieues françaises durant trois semaines. Cette fois, la colère a été embrasée par la mort de Nahel Merzouk, 17 ans, tué par un policier le 27 juin lors d’un contrôle routier.

Possiblement en raison d’une intervention rapide et massive des policiers, disent les experts, les émeutes se sont résorbées en environ une semaine, même si elles étaient géographiquement plus étendues. Aux voitures incendiées et aux bâtiments vandalisés s’est ajouté un important pillage.

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Une semaine d’émeutes et de casse en France

« Pour un certain nombre de ces violences, il s’agissait simplement de ce qu’on appelle des “violences d’opportunité”, c’est-à-dire des gens qui, voyant une situation qui dégénère, ne s’intéressent pas au contenu politique de la manifestation, mais en profitent, profitent du chaos pour aller casser un magasin et se servir à l’intérieur », illustre Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès, à Paris.

Qu’est-ce qui distingue le profil des gens interpellés ?

Selon le ministère de l’Intérieur, les 3600 personnes interpellées ont en moyenne 17 ans.

« La majorité de ces gens sont très jeunes, commente M. Camus. Entre 14 ans et 18 ans. Il y en a qui sont plus âgés, mais on a un phénomène nouveau qu’il faudra prendre en compte, c’est la présence de très jeunes mineurs. Le plus jeune, parmi ceux qui ont été pris en train d’incendier des bâtiments publics ou de voler, a 11 ans. »

Le sociologue Hugues Lagrange rappelle toutefois que ces statistiques font référence aux personnes arrêtées seulement. « Est-ce que ce sont ceux qui courent le moins vite qui se sont fait attraper ? demande le directeur de recherche émérite, enseignant à Sciences Po Paris. Est-ce que les mineurs ont été mis en première ligne et que les garçons plus chevronnés sont restés derrière ? »

Les adultes, même jeunes, risquent des sanctions plus sévères, rappelle-t-il.

Quelle est l’approche policière avec les jeunes de milieux moins nantis ou racisés ?

Au fil des deux dernières décennies, la relation entre policiers et jeunes défavorisés ou racisés s’est dégradée, note Sébastien Roché, spécialiste des questions policières en France. À partir de 2002, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy – devenu plus tard président –, a préconisé la ligne dure. « Il a mis de l’avant une police qui doit avant tout faire des interpellations, explique M. Roché, directeur de recherches CNRS, enseignant à Sciences Po Grenoble. C’est-à-dire qu’elle doit arrêter les délinquants. La relation d’aide […], de confiance passe au second plan. »

Même s’il souligne que la police française « n’est pas la pire du monde » et que d’autres pays ont connu des épisodes similaires, M. Roché insiste sur les conséquences trop souvent ignorées des contrôles multiples de l’identité ou d’interpellations discriminatoires. « Il y a un phénomène de long terme chez les adolescents, c’est que toutes ces expériences négatives avec la police font perdre la confiance dans la loi, perdre la confiance dans la démocratie, note-t-il. C’est un problème qui est structurel. La police du quotidien a des effets sur la perception du policier, mais aussi sur la légitimité politique du régime. »

La situation pourrait-elle profiter à la droite et à l’extrême droite ?

M. Camus a les yeux tournés vers les élections européennes de 2024, dans lesquelles votent habituellement des électeurs particulièrement mobilisés. « Je pense que, selon toute vraisemblance, 2024 serait une bonne année électorale pour le Rassemblement national de Marine Le Pen, parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont vu tourner en boucle les images de destruction de biens publics et qui en ont été profondément choqués », dit-il.

Différentes figures de la droite et de l’extrême droite ont appelé à une répression plus sévère des violences.

Une campagne de sociofinancement pour appuyer le policier inculpé d’homicide involontaire dans la mort de Nahel Merzouk a permis d’amasser environ 1,6 million d’euros.

« Cette cagnotte traduit le fait que les gens spontanément disent : “Nous soutenons ce policier. Nous n’avons pas encore vu les résultats de l’enquête judiciaire, mais nous le soutenons” », indique M. Lagrange.

Différentes campagnes ont été mises sur pied pour amasser des fonds pour la mère de Nahel, mais aucune n’a atteint cette ampleur.

M. Lagrange y voit une forme de sondage de l’opinion publique, exprimée à coups de dons.

Quel pourrait être l’impact sur les pratiques policières ?

Depuis 2017, une modification de la loi, réclamée après une vague d’attentats, laisse plus de souplesse aux policiers pour tirer en cas de refus d’obtempérer – la vidéo montre que le véhicule de Nahel Merzouk a continué à rouler après l’ordre lancé par le policier.

« En même temps, il y a des règles européennes supérieures au droit français qui disent qu’on ne peut tirer que lorsqu’il y a absolue nécessité et lorsqu’il y a proportionnalité, précise M. Roché. Donc il y a un conflit de normes. »

Il s’attend à un débat juridique.

« Cette affaire est très importante parce qu’elle a mis le feu aux banlieues françaises et qu’il y a eu des émeutes, mais sur le plan juridique, elle est aussi très importante », dit-il, ajoutant qu’une décision ne surviendrait pas avant plusieurs années.