(Bruxelles) La nomination d’une Américaine, ancienne cadre de l’administration Obama, à un poste clé de la Commission européenne lié à la régulation des géants américains de la tech a provoqué un tollé en France, où le gouvernement a demandé à Bruxelles de reconsidérer son choix.

« La régulation du numérique est un enjeu capital pour la France et pour l’Europe. Cette nomination mérite d’être reconsidérée par la Commission », a réagi jeudi soir sur Twitter la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna.

L’exécutif européen a annoncé en début de semaine que Fiona Scott Morton, professeur d’économie à l’université de Yale, avait été choisie comme nouvelle économiste en chef à la Direction générale de la concurrence.

Ce service est chargé de veiller au bon fonctionnement de la concurrence dans l’Union européenne et d’enquêter notamment sur les abus de position dominante des géants du numérique, qui ont donné lieu à des amendes record ces dernières années.

Des élus de tous horizons politiques ont épinglé ses anciennes fonctions de responsable de l’analyse économique à la division antitrust du ministère américain de la Justice, entre mai 2011 et décembre 2012, ou de consultante pour des grands groupes de la tech comme Amazon, Apple et Microsoft.

Cette nomination survient au moment où l’UE doit mettre en œuvre de nouvelles législations ambitieuses pour réguler ce secteur et nourrit les critiques contre la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, considérée comme très atlantiste.

En France, outre Mme Colonna, deux autres membres du gouvernement se sont publiquement étonnés de ce choix. « L’Europe compte de nombreux économistes de talent », a relevé la secrétaire d’État chargée de l’Europe, Laurence Boone.

Elle a précisé avoir engagé la dialogue sur la question avec la Commission, conjointement avec le ministre délégué au Numérique Jean-Noël Barrot.

« Contraire à l’éthique »

Mme Scott Morton doit prendre ses fonctions au 1er septembre, mais son contrat de travail n’a pas encore été signé, a précisé à l’AFP une source au sein de l’exécutif européen.

« Embaucher une lobbyiste américaine des GAFAM au moment où l’Europe se décidait enfin à limiter leur pouvoir, c’est un comble. Cette nomination est au mieux maladroite, au pire dangereuse […], la Commission doit y renoncer », a tancé l’eurodéputé conservateur Geoffroy Didier (Les républicains).

Le recrutement de Mme Scott Morton est « un scandale », a fustigé de son côté l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot, en demandant à Mme von der Leyen « d’annuler cette nomination contraire à l’éthique ».

Interrogée par l’AFP, une porte-parole de la Commission a précisé que la nouvelle fonction de Fiona Scott Morton consistait en un rôle de conseillère sur les questions économiques auprès de la commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager.

Elle a écarté tout risque de conflit d’intérêts. Avant de nommer Mme Scott Morton, « la Commission a soigneusement examiné si elle avait un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance » et elle ne sera « pas impliquée dans des dossiers sur lesquels elle a travaillé ou dont elle a eu connaissance dans son emploi précédent ».

« Cadeau aux États-Unis »

« Comme elle a conseillé de grands groupes comme Apple, Amazon et Microsoft », cela « conduirait au scénario absurde dans lequel l’économiste en chef de l’autorité de la concurrence serait tenue à l’écart des dossiers importants » s’offusque l’eurodéputé écologiste allemand Rasmus Andresen.

La nomination a suscité la colère jusqu’au sein de la Commission européenne.

« Tout le monde s’interroge sur ce cadeau majeur fait aux États-Unis. Est-il lié à la possible candidature de von der Leyen à l’OTAN ? », se demande un haut responsable sous couvert de l’anonymat. « On marche sur la tête. Plusieurs commissaires sont indignés et l’ont fait savoir à la présidente », affirme-t-il.

Ce responsable s’étonne aussi d’une apparente volonté de rendre le recrutement le plus discret possible : « le processus n’a pas été transparent. Cela a été validé rapidement parmi des points non débattus lors d’une réunion du collège des commissaires, sans même préciser la nationalité américaine de Mme Scott Morton ».

La Commission a justifié l’ouverture du poste à des candidatures hors UE par « les connaissances très spécifiques requises ».

L’exécutif européen assure avoir reçu seulement « un nombre limité de candidatures ». Mme Scott Morton « s’est avérée être le meilleur choix parmi ces candidats, tant du point de vue de ses qualifications que de ses performances au cours de la procédure de recrutement », a expliqué la porte-parole.