(Paris) En perdant mercredi ses trois chefs les plus influents, le groupe russe Wagner voit sa marque considérablement affaiblie. Reste pourtant un modèle de société paramilitaire agile, indirectement lié à l’État russe, qui devrait lui survivre.

En même temps que son chef charismatique Evguéni Prigojine, Wagner a perdu son bras droit Dmitri Outkine et son logisticien Valéry Tchekalov. De quoi considérablement altérer son fonctionnement.

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Des portraits du chef de Wagner Evguéni Prigojine (à droite) et de son bras droit Dmitri Outkine ont été déposés à un mémorial improvisé à Moscou, le 24 août.

Les mouvements d’extrême droite russes au sein de la sphère militaire sur l’internet pleurent désormais le groupe avec aigreur, remarque l’analyste Lucas Webber, un des cofondateurs du réseau de recherche Militant Wire.

« Ils décrivent une élite politique et militaire décadente, corrompue et détachée de la réalité du front. Par contraste, ils respectaient en Prigojine un personnage courageux, qui n’avait pas peur de critiquer la hiérarchie militaire et rendait fréquemment visite à ses hommes au combat », explique-t-il à l’AFP.

Certains évoquent des représailles. Mais elles auront du mal à se matérialiser à court terme, « vu comment le Kremlin s’est appliqué à isoler Wagner et à le placer sous haute surveillance ».  

Le groupe avait été bien trop loin, avec sa mutinerie de juin dernier, pour échapper à la colère de Vladimir Poutine.

La mort annoncée de Prigojine laisse aujourd’hui le champ libre au président russe pour repenser la structure de cet empire parallèle, qui a probablement payé pour s’être cru trop fort. Et pour redéfinir le secteur des sociétés militaires privées (SMP) russes.  

« Un seul homme »

« Une leçon que Poutine a probablement retenue de la mutinerie de juin est le danger d’accorder tant de pouvoir et de responsabilités […] à un seul homme », écrit Catrina Doxsee, spécialiste du mercenariat pour le groupe de réflexion CSIS à Washington.

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Evguéni Prigojine a été salué par des admirateurs lors de son départ de Rostov-on-Don, après la mutinerie avortée 24 juin.

« Si la Russie devait tenter de conserver le modèle des SMP pour sa politique étrangère et son assistance sécuritaire, il est probable que le marché va se diversifier » pour prévenir l’émergence d’un autre Prigojine.

Plusieurs groupes sont déjà sur les rangs dont Redut, Convoy ou encore Patriot.

« Pour que ça fonctionne, cela demande plusieurs paramètres, dont d’avoir l’oreille de Poutine avec de la capacité financière, et de disposer d’un outil d’influence », résume Lou Osborn, de l’ONG All Eyes on Wagner, co-auteure d’un ouvrage sur le groupe à paraître en France en septembre.

Ces sociétés « ont beaucoup moins de prestance et sont moins abouties que Wagner mais elles suivent la même construction », précise-t-elle, constatant déjà l’arrivée en leur sein de transfuges de Wagner et leurs liens étroits avec le GRU, le renseignement militaire russe.  

Avec elles, comme avec Wagner jusqu’à présent, le Kremlin est susceptible de jouer un double jeu, entre contrôle et soutien d’une part, et distance suffisante d’autre part pour ne pas avoir à répondre de chacun de leurs actes.  

« Il est probable que l’État russe exercera un contrôle plus direct sur les SMP dans les pays étrangers, sans totalement admettre qu’elles sont sous l’autorité directe du Kremlin », analyse ainsi Aditya Pareek, de l’institut de renseignement privé britannique Janes.  

« Ne me doublez pas »

Mais la méthode du démantèlement à venir de Wagner reste incertaine.

Le processus pourrait inclure « une nouvelle appellation et les sociétés dans l’orbite de Wagner pourraient être divisées en entités distinctes », puis éventuellement nationalisées ou maintenues comme quasi-indépendantes, estime Catrina Doxsee.

La loyauté au Kremlin ne sera plus négociable. « Le feu d’artifice de mercredi soir, c’est un message très clair : “ Ne me doublez pas, c’est une affaire de survie ” » tranche Lou Osborn, ironisant sur l’écrasement de l’avion de Prigojine.

Dès vendredi, Poutine a signé un décret obligeant les paramilitaires à jurer « fidélité » et « loyauté » à la Russie et de « suivre strictement les ordres des commandants et des supérieurs ».

Car Moscou ne saurait se passer d’un tel outil, qui a fait ses preuves en Afrique, au Moyen-Orient mais aussi dans la guerre que Poutine a déclenchée chez son voisin.  

« Les derniers succès tactiques en Ukraine, c’était Wagner », rappelle Maxime Audinet de l’Institut de recherche de l’école militaire (IRSEM), à Paris.

« Sans répéter les mêmes erreurs, la tentation semble réelle de préserver ce modèle opérationnel, celui de structures irrégulières et souples capables de s’émanciper des lourdeurs bureaucratiques rencontrées par les organes officiels pour intervenir là où l’État ne souhaite pas directement s’engager ».  

La transition, pour autant, ne sera pas limpide même si Prigojine n’est plus là pour résister au démantèlement de son empire, travail de toute une vie.

« Prigojine avait une grande liberté d’action, une grande capacité de travail, un enthousiasme évident, certaines capacités organisatrices et il n’avait aucune appétence pour l’enrichissement personnel », estime Denis Korotkov, journaliste russe d’investigation.

« Je ne vois pas d’autre figure comme lui. »