Désigné par le roi, le chef de la droite a un mois pour trouver sa majorité. Encore une fois, ce sont les indépendantistes basques et catalans qui détiennent la clé.

Alors que l’Espagne se débat avec la crise du « baiser forcé » qui secoue le monde du soccer, on a fini par oublier que le pays était toujours sans gouvernement depuis la fin du mois de juillet.

Un mois après des élections qui n’ont pas fait de vainqueur, le roi Felipe VI a tenté de dénouer l’impasse la semaine dernière en désignant le chef du Parti populaire (PP, droite), Alberto Núñez Feijóo, comme candidat au poste de premier ministre. Ce dernier dispose d’un mois pour trouver les voix parlementaires nécessaires à son investiture.

La maison royale a justifié son choix en expliquant que Feijóo était le « candidat du groupe politique ayant obtenu le plus grand nombre de sièges », soit 137 sur les 350 disponibles. Le souverain estime que le conservateur a de meilleures chances de former une majorité que son rival, le premier ministre sortant Pedro Sánchez (socialiste), qui n’en a obtenu que 121.

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Pedro Sánchez, premier ministre socialiste sortant

Dans la réalité, les deux hommes « auront autant de difficulté l’un et l’autre » à trouver les appuis nécessaires, estime l’historien Benoît Pellistrandi, spécialiste de l’Espagne.

Vox, droit dans ses bottes

M. Núñez Feijóo a besoin de 176 sièges pour obtenir la majorité au Parlement. Or, pour l’instant, seuls 172 votes lui sont acquis : les 137 de son propre parti, les 33 du parti d’extrême droite Vox et 2 députés de petits partis régionaux (Navarre, îles Canaries).

Sa seule chance de l’emporter serait de récupérer les 5 voix du parti indépendantiste basque de droite PNV (Partido Nacionalista Vasco), ce qui lui donnerait 177 sièges. Mais cela est loin d’être une formalité.

Certes, le PNV pourrait donner son soutien en échange de contreparties financières pour le Pays basque. Mais on imagine mal comment le parti indépendantiste peut faire partie d’une coalition impliquant Vox, formation centralisatrice qui ne veut rien entendre des exceptions basques et catalanes.

Le défi de Núñez Feijóo sera de réunir ces deux pôles au sein d’une alliance qui s’annonce fragile.

Difficile, mais pas insurmontable, avance Benoît Pellistrandi : « Si Feijóo remporte son pari et obtient le soutien des nationalistes basques, Vox ne pourra pas ne pas le soutenir. Ils vont devoir avaler cette couleuvre. Parce que pour eux, un gouvernement de centre droit est quand même mieux qu’un gouvernement de gauche. »

Maîtresse de conférence en civilisation espagnole à l’Université de Lille, Carole Vinals n’est pas de cet avis. « Ce scénario me paraît impossible, dit-elle. Vox est beaucoup trop droit dans ses bottes et trop viscéralement antirégionaliste », dit-elle.

À gauche, le grain de sable Puigdemont

Les mathématiques ne sont guère plus favorables au premier ministre sortant Pedro Sánchez, qui pourrait à son tour viser l’investiture si la droite y échoue.

Le chef du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) peut actuellement compter sur les 121 voix de son parti, les 31 voix de l’extrême gauche (parti Sumar), les 11 voix des partis basques et 1 voix d’un petit parti galicien, pour un total de 164 votes. Encore très loin du compte.

Sa seule chance de réussir serait de rallier les deux partis indépendantistes catalans, Esquerra republicana (ERC) et Junts per Catalunya (JxCAT), dont les 14 voix pourraient permettre à Sánchez d’atteindre la majorité.

Mais ces deux formations ont laissé entendre qu’il y aurait un prix à payer pour leur appui.

Le parti Junts, de Carles Puigdemont, politicien réfugié en Belgique et poursuivi par la justice espagnole, réclame notamment l’organisation d’un référendum pour l’indépendance de la Catalogne et une amnistie générale pour la dizaine de personnes en prison ou exilées à l’étranger, après la tentative de référendum avortée en 2017.

Mais pour les socialistes, cette condition sine qua non ne vient pas sans enjeux juridiques et politiques.

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Carles Puigdemont, du parti indépendantiste catalan Junts

« C’est une ligne rouge qui évidemment pose problème, tranche Carole Vinals. Cela permettrait à Sánchez de passer. Mais il doit arriver à trouver un compromis qui ne soit pas trop moche, tout en respectant les termes de la Constitution espagnole. Avec quelles conséquences ? C’est la question. Car la droite lui reproche toujours de trop céder aux régionalistes. »

Quelle perspective ?

Le débat d’investiture doit se tenir sur deux tours, les 26 et 27 septembre, ce qui donne un mois à Núñez Feijóo pour négocier ses appuis. « Un délai plus que raisonnable pour que le candidat puisse mener des négociations avec les représentants des différentes formations politiques », a estimé la présidente du Congrès des députés, Francina Armengol.

En cas d’échec serait alors déclenché un compte à rebours de deux mois pendant lesquels Pedro Sánchez tenterait à son tour d’être investi. S’il n’y parvient pas, les Espagnols seront de nouveau convoqués aux urnes à la mi-janvier, un exercice auquel ils se sont habitués.

« Mon impression, sans que personne ne le dise ouvertement, c’est qu’on va vers la répétition des élections. Avec sans doute le même scénario de blocage, conclut Benoît Pellistrandi. Ce n’est pas une très bonne nouvelle. Ça voudrait dire que, depuis 2015, les Espagnols répètent chaque fois les élections. »

« Les Israéliens le font bien, remarquez, alors pourquoi pas les Espagnols ? »