(Paris) Après la burqa, le burkini et le hijab, la France renoue avec les polémiques sur l’islam, cette fois-ci autour de l’abaya, bannie à l’école au nom de la laïcité, une interdiction confirmée jeudi par la plus haute juridiction française.

Ces débats, souvent mal compris à l’étranger, surviennent dans un pays extrêmement attaché à une loi plus que centenaire sur la séparation de la religion et de l’État et marqué par une relation complexe avec l’islam et les musulmans, héritée notamment de son histoire coloniale.

La rentrée scolaire de septembre a ainsi été dominée par l’interdiction du port de l’abaya – un phénomène très minoritaire – décrétée par le ministre de l’Éducation Gabriel Attal.

Ses partisans, dont de nombreux chefs d’établissement en manque de consignes claires, y ont vu un rappel bienvenu à la laïcité, ses détracteurs un rideau de fumée destiné à éclipser les problèmes de l’Éducation nationale ou à alimenter l’« islamophobie ».

Le Conseil d’État a été saisi en urgence par une association musulmane, qui voit dans cette proscription une « atteinte aux droits de l’enfant ». Il a validé jeudi l’interdiction du port de l’abaya à l’école, en rejetant le recours de l’association, qui demandait sa suspension.

Le port de l’abaya « s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse », a estimé le juge des référés, qui avait été saisi en urgence par l’association Action droits des musulmans (ADM).  

En conséquence, son interdiction « ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, à la liberté de culte, au droit à l’éducation et au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ou au principe de non-discrimination », a-t-il estimé.

Le Conseil d’État confirme donc la religiosité présumée du vêtement, rejetant l’argument de l’avocat de l’association, Me Vincent Brengarth, selon lequel l’« abaya », qui « signifie “robe”, “manteau” », est un vêtement « traditionnel » et non « religieux ».

Polémiques en série

Elle « fait immédiatement reconnaître celui qui la porte comme appartenant à la religion musulmane », a rétorqué Guillaume Odinet, du ministère de l’Éducation.

L’association ADM s’est dit « profondément inquiète des conséquences que cette décision pourrait avoir sur des jeunes filles, qui risquent de subir quotidiennement des discriminations fondées sur leur apparence ethnique et religieuse ».

Le Conseil français du culte musulman (CFCM), l’instance qui représente la deuxième religion du pays, dénonce pour sa part « un énième débat sur l’islam et les musulmans avec son lot de stigmatisations ».

La France n’en est pas, tant s’en faut, à sa première polémique sur l’habit islamique.  

En 2004, une loi a proscrit le port à l’école publique de signes ou tenues manifestant « ostensiblement » une appartenance religieuse, avec en toile de fond des querelles sur le foulard musulman.

Six ans plus tard, le voile intégral était banni dans l’espace public, provoquant une controverse internationale. En 2016, le port du burkini, ce maillot de bain long recouvrant corps et cheveux, était prohibé sur certaines plages.

Régulièrement, la question d’interdire aux femmes voilées d’accompagner des sorties scolaires refait surface. En juin dernier, une éventuelle autorisation pour des footballeuses de porter le hijab a agité le pays.

À chaque polémique, les partis de droite, d’extrême droite, mais aussi de gauche, à l’exception de la gauche radicale, affirment vouloir défendre la « laïcité », pilier de la République française depuis une loi de 1905 et menacée selon eux par un « séparatisme » religieux, venant principalement de l’islam.

« Droitisation »

Les débats se sont tendus davantage depuis la vague d’attentats islamistes meurtriers qui a frappé le pays dans la dernière décennie.

« Nous vivons dans notre société avec une minorité, des gens qui, détournant une religion, viennent défier la République et la laïcité », a argumenté lundi le président Emmanuel Macron, questionné sur l’abaya.

« On ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu d’attentat terroriste et Samuel Paty », a-t-il ensuite dit, en référence à l’enseignant assassiné en 2020 par un jeune radicalisé d’origine tchétchène, après avoir montré en classe des caricatures de Mahomet dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression.

Quelque 81 % des Français, de gauche comme de droite – un peu moins au sein de la gauche radicale –, approuvent ainsi l’interdiction de l’abaya à l’école, selon un récent sondage.

« Il y a une radicalisation de la société française, une droitisation que l’on retrouve aussi sur les questions d’immigration, de sécurité », observe l’historien et politologue Jean Garrigues.

« Dans une société qui n’a plus de colonne vertébrale, une bonne partie des Français ont le réflexe instinctif de protéger certaines valeurs » comme la laïcité, dit-il à l’AFP.

La France, régulièrement qualifiée d’« islamophobe » dans le monde musulman depuis les caricatures du prophète Mahomet publiées dans l’hebdomadaire Charlie Hebdo, va « trop loin », estime de son côté Pooyan Tamimi Arab, chercheur iranien en études religieuses de l’université d’Utrecht (Pays-Bas).

« Quand vous interdisez l’abaya en France, vous donnez une excuse aux islamistes pour dire : “Regardez, nous sommes discriminés”. Il sera dit que la laïcité à la française est anti-islamique. Cela sera critiqué. Cela pourrait être utilisé pour justifier de la violence », craint-il.