(Paris, France) Les petits Français n’ont jamais porté d’uniforme à l’école publique. Mais le gouvernement Macron a marqué la rentrée en annonçant que cela pourrait bientôt être le cas, dans la foulée de l’interdiction controversée de l’abaya. Une idée qui laisse les experts sceptiques et les principaux concernés dubitatifs.

Dans les rues de Paris, en ce lundi matin de septembre, des élèves de tous âges se pressent pour arriver à l’heure en cours. Jeans, joggings, jupes, robes et débardeurs se mélangent sous la chaleur brûlante qui s’installe déjà. Toutes les couleurs, tous les styles.

Ici, le projet du ministre de l’Éducation, Gabriel Attal, conforté par le président de la République, Emmanuel Macron, d’expérimenter une tenue unique dans les établissements scolaires – annoncé à l’occasion de la rentrée – passe mal.

PHOTO CAROLINE BLUMBERG, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Emmanuel Macron (au centre), en visite dans une école du sud-ouest de la France, le 5 septembre dernier

Dans un ensemble jaune vif, Zohra attend que 8 h sonnent. La jeune fille est en troisième au lycée-collège Montaigne, dans le 6e arrondissement parisien. « Ma mère m’a parlé de cette information. Je suis contre. Je préfère choisir mes propres vêtements. C’est privé, normalement, la manière dont on s’habille, c’est pas normal qu’ils essaient de nous imposer une tenue. Surtout s’ils veulent qu’on mette des jupes. J’aime pas. »

L’annonce de l’expérimentation de l’uniforme est survenue quelques jours seulement après l’interdiction de l’abaya dans les écoles.

Cette robe longue portée par les jeunes musulmanes est vue par le gouvernement et par une partie des chefs d’établissement comme un signe religieux, et donc contraire à la laïcité.

Le débat a monopolisé l’attention à la veille de la rentrée scolaire. Le jour même, seules 298 élèves sur les 12 millions d’écoliers se sont présentées avec une abaya devant les portes de leur classe. Elles ont été sommées de l’enlever. « Est-ce que pour répondre à la question du port du voile ou de l’abaya chez les jeunes femmes, il faut instaurer l’uniforme ? Je pense que ça relève de la pensée magique », dit François Dubet, sociologue de l’éducation et professeur émérite à l’Université de Bordeaux.

Zohra, la collégienne du lycée-collège Montaigne, est musulmane et a été heurtée par la décision d’interdire l’abaya. Elle n’en porte pas elle-même, mais ça lui « fait de la peine pour une copine qui porte le hijab ». « Nos vêtements, c’est aussi une manière de montrer qui on est. Ici, c’est un collège de bourges, il faut montrer qu’il y a aussi des Noirs, des Arabes et qu’on a notre identité », explique-t-elle.

Surtout les filles ?

Pour le moment, les contours de l’expérimentation ne sont pas encore clairs. Dans une entrevue accordée au média français Hugo Décrypte, Emmanuel Macron a évoqué l’idée d’une tenue unique : « jean, t-shirt et veste ». Un brin différent du costume, du tailleur ou de la jupe plissée que l’on imagine quand on évoque l’uniforme.

« Hélas, c’est surtout la tenue des filles que l’on essaie de réguler », déplore Marie Duru-Bellat, sociologue de l’éducation.

En théorie, ça peut être intéressant. Les jeunes se comparent entre eux. La tenue des filles est un grand sujet des ados. Elles ont tendance à se critiquer sur ça. L’obsession de l’apparence est délétère pour elles. Mais il serait peut-être plus pédagogique d’en parler.

Marie Duru-Bellat, sociologue de l’éducation

C’est aussi parce qu’il ne veut pas ressembler à tout le monde qu’Honoré, élève de quatrième dans le même collège, espère que la dernière idée du gouvernement n’aboutira pas. En pantacourt kaki et t-shirt imprimé, il explique que c’est important pour lui de s’exprimer à travers sa tenue. L’avis de Raphaël est plus nuancé. Bien sûr, avec un maillot de soccer jaune sur le dos et des chaussures qui rappellent cette note de couleur, le lycéen ne peut pas nier son style. Mais il ne voit pas que des inconvénients dans l’idée de l’uniforme. « Ça ne me dérangerait pas tellement. Il y a du positif comme du négatif. Déjà, il n’y aurait plus de harcèlement ou de moqueries parce qu’on s’habille de telle manière ou qu’on n’a pas la nouvelle paire de chaussures à la mode. Mais c’est vrai que si on est tous habillés pareil, on ne pourra pas s’exprimer par nos habits, et c’est important, surtout à notre âge. »

Gommer les inégalités, s’assurer du respect du principe de la laïcité dans les établissements et éviter les débats récurrents sur la « décence » des vêtements choisis par les élèves sont autant de raisons invoquées par les partisans de l’uniforme. « Ce n’est pas exclu qu’il ait un effet, mais certainement pas sur les inégalités sociales », estime le sociologue François Dubet. « Il y a des données très précises qui montrent que l’école française est très inégalitaire en termes de performance et de mixité sociale. Les établissements scolaires des quartiers riches sont plus riches que les quartiers eux-mêmes et le parallèle est vrai pour les quartiers et les établissements pauvres. Le problème majeur, c’est donc de trouver comment fabriquer un peu de mixité scolaire. L’uniforme est un voile de fumée qui cache le vrai débat. »

Et puis, il est peu probable que la mise en place de l’uniforme ait lieu de sitôt, prédit Marie Duru-Bellat. « C’est beaucoup trop décalé par rapport aux réalités de la jeunesse », signale-t-elle. « On n’est pas à l’armée, enfin ! », s’exclame la sociologue.