(Kyiv) L’Ukraine a mis jeudi en garde contre « des mois difficiles à venir » après l’attaque nocturne « massive » russe qui a visé plusieurs villes, au moment où Volodymyr Zelensky est à Washington pour demander plus d’armes puissantes.

Ce qu’il faut savoir

  • Volodymyr Zelensky est arrivé à Washington, où il doit s’entretenir avec son homologue américain Joe Biden et des représentants politiques ;
  • L’armée ukrainienne affirme avoir frappé un aérodrome militaire russe près de la ville de Saky, en Crimée ;
  • Des négociations avec Varsovie auront lieu pour régler la dispute sur les exportations ukrainiennes de céréales en Pologne, selon Kyiv ;
  • La Pologne n’assure que les livraisons d’armes convenues antérieurement avec Kyiv, a déclaré jeudi le porte-parole du gouvernement polonais ;
  • L’Ukraine a affirmé jeudi avoir intercepté 36 des 43 missiles russes lancés dans la nuit contre plusieurs de ses villes ;
  • Plusieurs villes ukrainiennes ont été frappées par des missiles russes dans la nuit, deux hommes ayant été tués à Kherson et sept personnes blessées à Kyiv.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky est arrivé au Congrès américain, où les élus débattent d’une possible nouvelle aide militaire et humanitaire, et doit être reçu par le président Joe Biden.

Au même moment la question du transit des céréales ukrainiennes, bloqué en mer Noire par la Russie et soumis à des embargos par Varsovie, Bratislava et Budapest contre l’avis de l’UE, a connu un début de règlement en Europe. Bratislava et Kyiv ont annoncé avoir convenu d’un mécanisme et la Pologne, que cette crise a vu annoncer qu’elle ne livrerait plus d’armes à l’Ukraine, a promis des négociations.  

En Ukraine, la nouvelle salve de missiles de croisière russes a fait trois morts à Kherson, dans le sud, et sept blessés à Kyiv, la capitale.

« La plupart des missiles ont été abattus, mais seulement la majorité. Pas tous », a déclaré M. Zelensky sur Telegram, appelant les Occidentaux à fournir encore plus de systèmes antiaériens à son pays.

L’arrivée prochaine de la saison froide fait craindre aux autorités du pays que Moscou ne relance une campagne de frappes sur le système énergétique pour plonger la population civile dans le noir et le froid, comme durant l’hiver 2022.

« Des mois difficiles nous attendent : la Russie va continuer d’attaquer les installations énergétiques et essentielles », a prévenu le chef adjoint de l’administration présidentielle, Oleksiï Kouleba, accusant Moscou de vouloir « semer la panique ».

L’attaque de la nuit a visé « des dortoirs, des stations-service, un hôtel, des infrastructures énergétiques et civiles », a-t-il précisé.

À Kharkiv, grande ville du nord-est, des ateliers et usines ont été endommagés et deux personnes blessées, selon les autorités.

« La roquette est tombée tout près, à quelques mètres de nous. Il y avait beaucoup de débris et d’éclats d’obus. Elle a causé beaucoup de dégâts », a raconté à l’AFP Mykola Pogorielov, directeur d’une entreprise locale.

Ioulia Barantsova, couturière dans une fabrique de vêtements, a vu témoigne que les ateliers ont été touchés. « Les plafonds se sont effondrés, les fenêtres ont explosé », dit-elle.

PHOTO BRENDAN HOFFMAN, THE NEW YORK TIMES

Nombreuses villes touchées

Pour la première fois en six mois, des installations énergétiques dans l’ouest et le centre du pays ont été endommagées par les frappes russes, provoquant des coupures d’électricité dans plusieurs régions, a indiqué le fournisseur ukrainien Ukrenergo sur Telegram.  

Si Valery Zaloujny, le commandant en chef de l’armée ukrainienne, s’est félicité que ses défenses aient « détruit 36 missiles de croisière » sur 43, certains ont fait des dégâts et des victimes.

À Kherson, dans le sud du pays, des zones résidentielles ont été touchées au milieu de la nuit, faisant trois morts et cinq blessés.

Dans la capitale, Kyiv, des éclats de missiles ont fait sept blessés, dont une fillette de 9 ans.

PHOTO GLEB GARANICH, REUTERS

La capitale Kyiv a été visée par une attaque, dans la nuit de mercredi à jeudi.

Dans le quartier de Darnytskiï, dans l’est de la ville, « les fenêtres et les portes ont été soufflées », raconte à l’AFP Maïa Pelioukh. « Une fenêtre m’est tombée dessus. »

« C’était très effrayant », dit de son côté Daria Kalna, autre témoin.

Neuf personnes ont également été blessées dans la ville de Tcherkassy, au sud de Kyiv, et à Rivné (nord-ouest), l’attaque a provoqué des coupures de courant.

La région de Lviv (ouest), à quelque 1000 km du front a elle aussi été frappée, a annoncé le gouverneur, sans donner plus de détails.

Ces attaques ont eu lieu quelques heures après que Moscou a assuré avoir abattu un total de 22 drones ukrainiens en Crimée annexée, au-dessus de la Mer noire ainsi que dans les régions de Belgorod et Orel.

L’armée ukrainienne a de son côté affirmé avoir frappé avec des drones et des missiles dans la nuit un aérodrome militaire russe près de la ville de Saky, en Crimée.

La frappe a infligé « de graves dégâts » alors qu’au moins 12 avions de combat de type Su-24 et Su-30 se trouvaient sur l’aérodrome, a affirmé une source au sein des services de sécurités ukrainiens.

Les autorités russes en Crimée ont au contraire affirmé que la défense antiaérienne russe a déjoué cette attaque de l’Ukraine, qui a multiplié les frappes sur la péninsule annexée et en mer Noire.

Ces attaques croisées surviennent après que Volodymyr Zelensky a dénoncé mercredi à New York, à l’ONU, l’« agression criminelle » de Moscou et « le blocage » de l’instance internationale en raison du droit de veto russe au Conseil de sécurité.

Le front diplomatique se complique pour Zelensky

Crise des céréales, tensions avec Varsovie, critiques sur sa stratégie militaire… les difficultés s’accumulent pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui, de New York à Washington, se démène pour s’assurer du maintien de l’aide occidentale dans sa guerre contre la Russie.

Plus de 18 mois après le début de l’invasion russe, Volodymyr Zelensky craint la lassitude des opinions publiques en Europe et aux États-Unis. Tour d’horizon de ses chantiers diplomatiques.

Lenteur

La contre-offensive ukrainienne se heurte aux redoutables lignes de défense russes. L’espoir d’une percée rapide ne résiste ni à l’analyse ni aux faits. Le soutien occidental devra donc durer.

« Il est très probable que la Russie va prendre le temps de creuser plus encore, de construire de nouvelles fortifications et de se préparer pour le printemps », a ainsi déclaré au site The Insider Margo Grosberg, patron du renseignement estonien.

« Il est clair, même pour les soutiens les plus exubérants de l’Ukraine, que c’est une guerre susceptible de se poursuivre en 2024 et peut-être même 2025 », confirme le général australien à la retraite, Mick Ryan.

« Même si l’Ukraine est dans une meilleure posture stratégique aujourd’hui qu’en décembre 2022, la perception du succès (et de l’échec) à Washington et dans les autres capitales occidentales est toute aussi vitale ».

Tester Washington

Après avoir plaidé sa cause devant l’ONU à New York, Zelensky est arrivé à Washington jeudi pour prévenir un affaiblissement du soutien américain, notamment en cas de victoire républicaine à la présidentielle de 2024.

Au Congrès, « depuis un an, plusieurs groupes d’intérêts ont plaidé pour la réduction ou l’arrêt de l’assistance » à Kyiv, arguant des tensions avec la Chine et brandissant la tentation isolationniste, selon Mick Ryan.

Le tête-à-tête entre le président ukrainien et le patron républicain de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, s’annonce difficile. « J’ai des questions pour lui. Peut-il rendre des comptes sur l’argent que nous avons déjà dépensé ? Quelle est la stratégie pour la victoire ? », a lancé McCarthy mardi.

« Une diplomatie publique intelligente peut aider » auprès des républicains, « mais elle a des limites », explique à l’AFP Ivan Klyszcz, du Centre international pour la défense et la sécurité (ICDS), en Estonie. « La tendance vers une dépendance accrue à l’Europe va continuer ».

Tensions avec Varsovie

Or, ce dossier-là se complique aussi. À commencer par les tensions avec la Pologne, par laquelle transite l’aide militaire occidentale.

Mercredi, Varsovie avait convoqué « d’urgence » l’ambassadeur d’Ukraine. Elle protestait contre des propos du président Zelensky à l’ONU selon lequel « certains pays feignent la solidarité en soutenant indirectement la Russie ».

Mais pour Ivan Klyszcz, « ces épisodes de défiance mutuelle n’ont pas altéré le cours global des choses » entre les deux pays. « Kyiv regarde la Pologne comme un partenaire essentiel et Varsovie veut éviter une défaite ukrainienne », ajoute-t-il.

La discorde céréalière

Depuis février 2022, les voisins de Kyiv sont incontournables pour le transit des céréales ukrainiennes vers l’Afrique et le Moyen-Orient et ont fait face à un afflux de grains suite à la levée des droits de douane de l’UE.

Devant la saturation des silos et l’effondrement des prix locaux, plusieurs d’entre eux avaient au printemps décrété un embargo unilatéral. Bruxelles avait ensuite approuvé les restrictions, à titre temporaire. Mais la Commission vient de décider de ne pas renouveler l’accord, provoquant la colère des pays concernés.

En représailles, l’Ukraine a annoncé lundi une plainte devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre les trois pays ayant prolongé l’embargo : Pologne, Slovaquie et Hongrie.

Discordances

Simultanément, le camp se renforce de ceux qui prônent l’ouverture de négociations avec Moscou.

En août, Stian Jenssen, directeur de cabinet du chef de l’OTAN Jens Stoltenberg, avait laissé entendre que l’Ukraine pourrait céder du territoire contre une adhésion à l’OTAN. « C’est aux Ukrainiens et seulement aux Ukrainiens de décider […] ce qui est une solution acceptable », avait rectifié M. Stoltenberg.

Les analystes soulignent que chaque polémique en Occident sert les intérêts du président russe Vladimir Poutine, qui juge que le temps joue en sa faveur dans cette guerre d’usure.

« Peut-être qu’une meilleure communication avec Kyiv (portes fermées) aurait pu éviter de tels gros titres », tweetait jeudi Theresa Fallon, directrice du CREAS, un groupe de réflexion basé à Bruxelles, en commentant la crise avec Varsovie.

« Pas de doute que la propagande russe en fera des tonnes ».