(Kyiv, Ukraine) Halyna Vynokur, employée dans une quincaillerie de Kyiv, tenait une arme à feu pour la première fois. Iryna Sitchova, responsable des achats dans un grand magasin, démontait et remontait l’enchevêtrement de tiges et de ressorts d’un fusil kalachnikov.

Elles faisaient partie des deux douzaines de femmes qui se sont récemment retrouvées dans une forêt près de Kyiv un week-end, pour un cours sur les armes à feu et le combat urbain, un entraînement qui comprenait le tir au fusil, la recherche de pièges et le lancement de grenades à main. Elles ont été poussées par le sens du devoir, ont-elles déclaré, réalisant qu’elles pourraient un jour se retrouver en première ligne.

« Personne ne veut se battre dans les tranchées », a affirmé Olha Bakhmatova, 46 ans, une psychologue qui a participé à la formation. « Il n’est pas naturel de le vouloir. » Mais elle estime qu’il est « inévitable » qu’un plus grand nombre de femmes finissent par se battre, et elle veut s’y préparer.

« Maintenant, je comprends : si ce n’est pas moi, qui le fera ? »

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Deux Ukrainiennes rechargent une arme lors d’une formation organisée près de Kyiv.

Après 20 mois de guerre à grande échelle, les combats en Ukraine se sont enlisés dans de brutales batailles d’usure le long d’une ligne de front en zigzag dans le sud-est du pays. Un approvisionnement régulier en armes et en personnel est crucial, et bien que l’Ukraine bénéficie d’armements donnés par l’Occident, elle ne compte que sur sa propre population pour reconstituer ses forces, alors que celles de la Russie sont environ trois fois plus nombreuses.

Compte tenu de l’importance de la reconstitution des rangs, des efforts sont déployés pour attirer davantage d’Ukrainiennes dans l’armée. Des groupes de volontaires proposant des formations exclusivement féminines, comme celui situé près de Kyiv, soutiennent cet effort.

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Les séances d’entraînement exclusivement féminines visent à créer un environnement d’apprentissage où les efforts des femmes ne sont pas continuellement comparés à la force physique masculine.

Selon le ministère de la Défense, environ 43 000 femmes servent actuellement dans l’armée ukrainienne, soit une augmentation d’environ 40 % depuis 2021, l’année précédant l’invasion massive par la Russie. Cette augmentation est proportionnellement inférieure à celle de la force de combat masculine, qui a plus que triplé au cours de la même période.

Des Ukrainiennes combattent actuellement dans le sud-est de l’Ukraine. En plusieurs étapes depuis l’invasion, l’armée a aboli les restrictions qui empêchaient les femmes d’occuper des postes tels que mitrailleur, commandant de char et tireur d’élite, et a levé les règles interdisant aux femmes de conduire des camions. Elle a relevé la limite d’âge des recrues féminines, qui était auparavant de 40 ans, à 60 ans, comme pour les hommes.

Plus tôt dans la guerre, les femmes avaient assumé des rôles de combat dans des groupes paramilitaires ou en contournant les règles. Elles ont été blessées, capturées et tuées, bien que l’armée ne publie pas le nombre de victimes, qu’elles soient hommes ou femmes.

L’ouverture de l’armée ukrainienne aux femmes est un pas en avant vers l’égalité, certes, mais qui reflète également le lourd tribut payé à la guerre.

Les centaines de milliers d’hommes qui voulaient se porter volontaires au début de la guerre, dont beaucoup ont fait la queue dès le premier jour, ont déjà rejoint les rangs ; beaucoup sont morts ou blessés. L’Ukraine doit maintenant mobiliser et former beaucoup plus de soldats pour maintenir sa résistance à l’invasion russe, alors même que les hommes sont de plus en plus nombreux à échapper à l’appel sous les drapeaux.

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L’un des instructeurs explique comment créer un piège à l’aide d’une grenade et d’un fil de fer.

« Je dois être prête »

Les séances d’entraînement exclusivement féminines visent à créer un environnement d’apprentissage où les femmes ne se sentent pas moins bien renseignées que les hommes et où leurs efforts ne sont pas continuellement comparés à la force physique masculine.

« Les femmes sont capables de se battre sur un pied d’égalité avec les hommes tout en restant féminines », lance Darya Trebukh, fondatrice du groupe non gouvernemental Ukrainian Valkiriya, chargé de diriger les séances d’entraînement. « Le sexe d’un guerrier ne fait aucune différence. »

Halyna Vynokur, 26 ans, employée dans une quincaillerie, s’est présentée à l’entraînement avec une amie après avoir vu une annonce sur Instagram. « Ce qui m’a attirée, c’est que c’est réservé aux femmes », a-t-elle expliqué. « C’est plus confortable, surtout la première fois » qu’on manipule une arme. « En tant que femmes, nous sommes toutes au même niveau », a-t-elle ajouté.

Tout le monde comprend que la guerre ne sera pas terminée dans un mois. Je ne veux pas y aller, je n’ai jamais voulu y aller, mais je comprends que je dois être prête à le faire.

Halyna Vynokur

L’armée ukrainienne s’est principalement concentrée sur les moyens d’améliorer les conditions de vie des femmes déjà présentes dans l’armée, en leur fournissant des vêtements et des gilets pare-balles adaptés à elles, et non sur la mobilisation. L’armée ukrainienne ne conscrit pas de femmes, bien qu’elle ait récemment demandé aux femmes ayant une formation médicale de s’inscrire au service militaire. Les femmes qui veulent servir doivent s’enrôler.

Lors de la récente séance près de Kyiv, les débutantes ont appris à ajuster la bretelle d’un kalachnikov : trop lâche, elle rebondit ; trop serrée, elle ne peut pas se mettre rapidement en position de tir.

La première indication d’une éventuelle conscription des femmes est entrée en vigueur le 1er octobre, avec une loi obligeant les femmes ayant une formation médicale à s’inscrire dans les bureaux de recrutement. Elles ne sont pas appelées à combattre, mais doivent se soumettre à des examens médicaux et reçoivent des cartes de recrutement.

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Des femmes apprennent à faire un garrot lors d’une formation dans une forêt près de Kyiv.

Les femmes sont particulièrement attirées par le pilotage de drones destinés à la surveillance ou au largage d’explosifs sur l’ennemi.

« Les femmes qui savent piloter des drones sont des personnes qui pourraient demain, si nécessaire, utiliser un drone pour cibler des tirs d’artillerie », a indiqué Valeriy Borovyk, commandant d’une unité de drones et fondateur d’un groupe consacré à la formation de femmes pilotes, appelé Pilotesy.

M. Borovyk a fondé Pilotesy à Kyiv au cours du premier mois de l’invasion à grande échelle, alors qu’il s’efforçait de trouver des pilotes de drone. Une organisatrice de défilés de mode a contribué au recrutement, et certaines des premières élèves étaient des mannequins et des actrices. Environ un tiers de ces femmes ont depuis grossi les rangs de l’armée, estime M. Borovyk.

Les femmes étudient le pilotage de drones de combat pour diverses raisons. Certaines pensent qu’elles pourraient être appelées à combattre et veulent acquérir une compétence utile. D’autres sont déjà dans l’armée et veulent passer d’un poste de soutien ou d’un emploi médical à un rôle de combat.

« Je peux être appelée dans l’armée, alors j’ai décidé que je devais acquérir des compétences pour le front », a raconté Alina Budnyova, 24 ans, diplômée de l’université de médecine l’année dernière et qui doit maintenant s’inscrire au service militaire. Elle a expliqué être motivée à se préparer parce qu’elle veut protéger son pays.

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Iryna Sitchova, responsable des achats dans un grand magasin, est une des quelque 200 femmes formées au combat par le groupe non gouvernemental Ukrainian Valkiriya.

Le groupe Valkiriya a formé environ 200 femmes au maniement des armes à feu et à d’autres techniques de combat. Les femmes qui terminent le cours et souhaitent s’engager dans l’armée s’inscrivent dans les bureaux de recrutement ; environ une élève sur cinq l’a fait, selon Darya Trebukh.

Dans la forêt, le groupe composé uniquement de femmes s’est entraîné au combat, certaines ayant suivi une leçon d’introduction, d’autres s’exerçant à des techniques avancées. Le groupe fait quelques clins d’œil au genre : certaines des cibles étaient des ballons roses, et une voiture était garée à proximité pour servir d’espace privé où l’on pouvait se changer en tenue de camouflage.

Quelques heures après le début de la formation, un groupe d’une demi-douzaine de femmes s’est exercé à l’assaut d’un bâtiment. Elles ont monté les cages d’escalier, traversé les couloirs, contourné les coins, se couvrant les unes les autres, se tapant dans le dos et gardant leurs armes pointées sur d’éventuelles menaces. À l’étage supérieur, un homme jouant le rôle d’un ennemi attendait.

Lorsque le groupe de tête l’a atteint, une femme a crié : « Contact ! » Les membres du groupe ont fait semblant de tirer. « Les filles, ça y est », a crié Iryna Sitchova dans une cage d’escalier. « Nous l’avons tué. »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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