Une force dirigée par l’ancien garde du corps du président Vladimir Poutine tente de recruter au sein du groupe paramilitaire, malgré la mutinerie de l’organisation contre des dirigeants militaires russes

Selon d’anciens combattants et des blogueurs militaires, les forces armées russes redoublent d’efforts pour recruter des vétérans du groupe paramilitaire Wagner. Le Kremlin tente ainsi d’éviter un nouveau cycle de conscription. Il veut aussi récupérer une partie du potentiel de combat de cette force après la mutinerie et la mort de son chef.

Quatre anciens détenus russes qui ont combattu avec Wagner dans l’est de l’Ukraine ont dit avoir reçu des appels et des messages leur proposant de nouveaux contrats militaires au cours des dernières semaines, confirmant ainsi des informations récentes de blogueurs militaires russes. Trois anciens combattants ont déclaré avoir été spécifiquement invités à se joindre à la Rosgvardia, la garde nationale de la Fédération de Russie.

PHOTO GAVRIIL GRIGOROV, SPUTNIK, FOURNIE PAR REUTERS

Viktor Zolotov

Conçue à l’origine comme une force d’arrière-garde, la Rosgvardia a pris de l’importance depuis l’invasion de l’Ukraine sous la direction de Viktor Zolotov, un ancien garde du corps du président Vladimir Poutine.

Poutine a ordonné une grande mobilisation depuis le début de l’invasion, appelant des centaines de milliers d’hommes, mais il s’est abstenu de procéder à un autre projet de même ampleur, en partie pour éviter d’attiser le mécontentement de l’opinion publique avant l’élection présidentielle de l’année prochaine.

« Wagner devient officiellement une unité de la Rosgvardia », peut-on lire dans un texte de recrutement reçu par un ancien combattant de Wagner la semaine dernière et consulté par le New York Times.

Toute la structure, les méthodes de travail et les commandants restent les mêmes.

Extrait d’un message de recrutement

L’authenticité du message n’a pas pu être vérifiée, mais il s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par la Rosgvardia pour se présenter comme le successeur de Wagner, une force paramilitaire pro-Kremlin tentaculaire qui, à son apogée, comptait des dizaines de milliers de combattants sur trois continents.

Rivalités

Wagner, qui s’appuie largement sur des détenus qui se sont enrôlés en échange d’un pardon, a joué un rôle de premier plan dans la campagne russe qui a duré des mois pour s’emparer de la ville de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine. La chute de la ville aux mains de la Russie, en mai, a permis au Kremlin de remporter sa seule victoire militaire significative en plus d’un an de combats, au prix de dizaines de milliers de victimes.

Mais la rivalité personnelle entre le fondateur de Wagner, Evguéni Prigojine, et le haut commandement militaire russe a atteint son paroxysme peu après, lorsque Prigojine a lancé une mutinerie, en juin, envoyant plusieurs milliers de soldats dans une marche avortée sur Moscou.

PHOTO CANAL TELEGRAM DU CONCORD GROUP, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Evguéni Prigojine, fondateur de Wagner

Après la mutinerie, Prigojine a conduit ses loyalistes en exil en Biélorussie voisine, mais il a continué à voyager à l’intérieur de la Russie pour y gérer ses affaires. En août, lui et ses commandants les plus proches sont morts dans un accident d’avion dans le centre de la Russie, évènement que les services de renseignement occidentaux ont décrit comme un assassinat.

Le Kremlin a nié toute implication, qualifiant l’écrasement d’accident.

Zolotov est largement considéré comme l’un des principaux bénéficiaires de la chute de Prigojine. Avant la guerre, la Rosgvardia s’était contentée de surveiller les évènements publics et de disperser les manifestations. Pendant l’invasion, ses troupes ont pénétré en Ukraine pour aider à occuper le territoire conquis.

Peu après la mutinerie de Wagner, Zolotov a annoncé que la Rosgvardia recevrait des armes lourdes – le genre d’équipement que Wagner avait reçu lorsque Prigojine jouissait de la faveur du Kremlin.

Poutine a longtemps dressé les hauts fonctionnaires et les hommes d’affaires les uns contre les autres, un système de rivalités qui a permis à la querelle de Prigojine avec les militaires de s’envenimer. Certains analystes ont interprété la décision de renforcer la Rosgvardia comme un moyen de consolider une faction loyale, en particulier après que l’armée russe n’a pas opposé de résistance significative aux rebelles de Wagner lorsqu’ils se sont approchés de la capitale en juin.

PHOTO ANTON VAGANOV, ARCHIVES REUTERS

Des soldats de la Rosgvardiya, lors d’un exercice militaire

Enrôlés dans l’Akhmat

Un employé régional de la Rosgvardia, non autorisé à s’exprimer publiquement, a confirmé sous le couvert de l’anonymat que la force militaire avait récemment créé une brigade spéciale pour accueillir les anciens détenus qui avaient combattu pour Wagner.

D’autres anciens membres de Wagner semblent avoir grossi l’unité tactique Akhmat de la Rosgvardia, basée en Tchétchénie, dans le sud de la Russie.

La télévision d’État russe a publié ce mois-ci une vidéo censée montrer une séance d’entraînement d’anciens membres de Wagner qui servent maintenant dans l’Akhmat en Ukraine.

« Nous avons absolument tout conservé », a déclaré à la chaîne de télévision RT l’un des combattants apparents, qui portait à la fois l’uniforme de Wagner et celui de l’Akhmat. « Nous sommes les mêmes qu’avant. »

Les affirmations faites dans la vidéo n’ont pas pu être vérifiées de manière indépendante, mais le sort d’un ancien combattant de Wagner montre que l’Akhmat tente de recruter d’anciens paramilitaires. Un ancien détenu nommé Alexeï Velijantsev, qui avait déjà servi avec Wagner, est mort en septembre en Ukraine après s’être réenrôlé dans l’Akhmat, selon un ancien camarade et un message publié par sa mère sur les réseaux sociaux.

L’armée russe, un autre rival de longue date de la Rosgvardia, a également cherché à attirer les vétérans de Wagner, selon une personne proche du ministère de la Défense de Russie, qui a parlé de la politique interne sous le couvert de l’anonymat.

Le média russe indépendant Important Stories a publié ce mois-ci un document de recrutement interne du gouvernement russe qui cite les anciens membres de Wagner comme l’un des groupes cibles.

Le ministère de la Défense, qui supervise l’armée, a affirmé avoir saisi des centaines de pièces de l’armement lourd de Wagner à la suite de la mutinerie. Peu après la mort de Prigojine, Poutine a rencontré l’un des principaux commandants survivants de Wagner et un vice-ministre de la Défense pour discuter de la création de nouvelles « unités de volontaires » au sein des forces armées russes.

Ce texte a d’abord été publié dans le New York Times.

Lisez l’article original sur le site du New York Times (en anglais ; abonnement requis)