(Moscou) Sergueï Khadjikourbanov, un ex-policier russe condamné à vingt ans de prison pour son rôle dans l’assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa en 2006, a été gracié par Vladimir Poutine pour avoir rejoint les forces russes en Ukraine, a indiqué mardi son avocat à l’AFP.

La mort de la journaliste, tuée par balles à Moscou le 7 octobre 2006, soit le jour de l’anniversaire du président russe, est l’un des meurtres les plus retentissants de l’ère Poutine, aux commandes de la Russie depuis 2000 et qui a vu nombre de ses détracteurs assassinés.  

Alexeï Mikhaltchik, l’avocat de M. Khadjikourbanov, a indiqué à l’AFP que son client avait rejoint les forces russes engagées en Ukraine dès 2022, ce qui lui a valu une grâce présidentielle.

« Il lui a été proposé un contrat pour y participer. Il l’a fait et quand le contrat s’est terminé il a été gracié sur décret du président », a indiqué le juriste, disant que la famille de son client l’en avait informé.  

« C’est une monstrueuse injustice arbitraire, une profanation de la mémoire d’une personne tuée pour ses convictions et la réalisation de son devoir professionnel », a relevé dans un communiqué la famille de Mme Politkovskaïa et le journal Novaïa Gazeta, son ancien employeur.

La grâce accordée par Vladimir Poutine n’est en aucun cas « une preuve de l’expiation et des remords du meurtrier », poursuivent-ils.

Christophe Deloire, secrétaire général de l’ONG Reporters sans frontières (RSF), a fustigé sur X « le cynisme » du président russe.

Selon l’avocat, Sergueï Khadjikourbanov devait purger sa peine jusqu’en 2030, mais les autorités lui ont proposé un contrat du fait de son expérience dans une unité des forces spéciales russes.

M. Mikhaltchik avait initialement révélé l’information aux médias russes Baza et RBK.

« Expier ses crimes »

Des dizaines de milliers de détenus russes ont signé de tels contrats avec des formations paramilitaires comme le groupe Wagner.  

Ces hommes ont souvent servi dans les secteurs les plus dangereux du front et, de l’aveu même du défunt patron de Wagner, Evguéni Prigojine, y ont été utilisés comme de la chair à canon. Mais les survivants retrouvaient leur liberté.

Cette politique est publiquement assumée par le Kremlin. « Les personnes condamnées, y compris pour des crimes graves, expient leur crime par le sang sur le champ de bataille », a encore déclaré vendredi Dmitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine.

Sergueï Khadjikourbanov sert toujours sur le front ukrainien, selon son conseil.  

« En 2023, il a signé un nouveau contrat en tant que volontaire et combat désormais dans des fonctions de commandement », a poursuivi l’avocat, qui se dit « convaincu de l’innocence » de son client dans l’affaire Politkovskaïa.    

Journaliste d’investigation mondialement reconnue, spécialiste des crimes commis par les autorités en Tchétchénie et critique de M. Poutine, Anna Politkovskaïa a été abattue dans le hall de son immeuble à Moscou.

Les commanditaires du crime n’ont jamais été identifiés, même si nombre d’opposants au Kremlin et au régime qu’il a mis en place en Tchétchénie considèrent que Ramzan Kadyrov, l’autoritaire dirigeant de cette région du Caucase, est le suspect N°1. L’intéressé a toujours démenti.

Assassinats en série

Il aura fallu plusieurs procès, des acquittements puis des condamnations pour que les exécutants de l’assassinat soient condamnés. Parmi eux, M. Khadjikourbanov.  

L’organisateur logistique de l’assassinat, Lom-Ali Gaïtoukaïev, est mort en prison en 2017. Son neveu Roustam Makhmoudov a été reconnu coupable d’avoir abattu la journaliste, et purge une peine à perpétuité.

Anna Politkovskaïa, qui travaillait pour le journal indépendant Novaïa Gazeta, est l’une des nombreuses personnalités critiques de la Russie de Vladimir Poutine à avoir été assassinées sans que ces crimes ne soient jamais élucidés.

Parmi les autres victimes, l’opposant Boris Nemtsov, le journaliste Paul Klebnikov, la militante des droits de la personne Natalia Estemirova ou l’avocat Stanislav Markelov.

Le détracteur numéro un du Kremlin, Alexeï Navalny a survécu à un empoisonnement en 2020 et purge une longue peine de prison, condamnation que l’intéressé et l’Occident qualifient de politique.  

La Russie a lancé après son assaut contre l’Ukraine une vaste campagne de répression de toutes les voix, célèbres ou anonymes, dénonçant sa responsabilité dans ce conflit.