Les trains de nuit font leur grand retour en Europe. L’European Sleeper, sur les rails depuis mai dernier, est l’une des rares entreprises privées à rivaliser avec les transporteurs nationaux, comme l’ÖBB autrichien qui domine le marché des trains de nuit. À quoi ressemble un trajet ? Récit d’une nuit entre Bruxelles et Berlin.

(Bruxelles) Il est 18 h 45 à la gare de Bruxelles-Midi, dans la capitale belge. Avec un peu de retard, l’European Sleeper est finalement sur son départ.

En passant par Anvers, Rotterdam et Amsterdam, le train doit mettre 12 heures pour atteindre Berlin, en Allemagne, sa destination finale. Une ode à la lenteur qui contraste avec l’heure et demie qu’il faut pour faire le trajet en avion, mais qui favorise les discussions entre ceux qui choisissent l’aventure.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

« Je ne fais ça par conviction écologique. J’essaie de pas trop prendre l’avion quand je vais en Europe », raconte Fannie Mainier, une jeune professionnelle française vivant à Bruxelles.

« Là, c’est un voyage de travail et tout le monde m’a pris un peu pour une folle quand j’ai demandé à faire le voyage en train. Parce que c’est beaucoup plus long et un peu plus cher, même si du coup, c’est la compagnie qui paie », ajoute-t-elle.

Dans la cabine suivante, Jurgen Defroy, lui, est plutôt content du prix.

« Mon plan s’est décidé à la dernière minute et l’avion n’était pas une option. C’était plus de 300 euros [440 $ CAN environ] et là, pour l’aller-retour [en couchette], je paie seulement 190 euros [280 $ CAN environ] », explique le barman en route pour une conférence d’une journée à Berlin.

Dans le train, il y a trois types de cabines dont le prix peut varier d’une quarantaine de dollars à plus de 200 $ par personne, par trajet, selon le moment de la réservation.

L’option la moins chère est un siège dans un compartiment de six. Il y a aussi les couchettes superposées pour quatre ou six personnes, puis celles plus spacieuses de seulement trois lits. Il existe certaines cabines réservées aux femmes et, si vous êtes prêt à payer, il est toujours possible de privatiser tout un compartiment.

« C’est sûr que tu dors avec des étrangers. Mais après cinq minutes, tu connais déjà tout le monde. Et c’est le côté agréable de l’aventure, rencontrer des gens », dit en souriant Jurgen Defroy, qui ne restera même pas une nuit à Berlin et reprendra l’European Sleeper le lendemain soir, pour économiser une nuit à l’hôtel.

Le pari du bas coût

Une fois la nuit tombée, il y a quelque chose de réconfortant à se retrouver bercé par les mouvements du train, allongé dans sa couchette, avec sa petite couverture et son oreiller.

Par contre, il est vrai que le confort est au minimum. C’est certainement mieux que de dormir assis dans un siège d’avion, mais on se sent rapidement à l’étroit, surtout si on est grand. Un sentiment qui doit être renforcé en haute saison quand les cabines sont remplies.

PHOTO JEROEN BERENDS, FOURNIE PAR EUROPEAN SLEEPER

Cabine de l’European Sleeper

« On ne s’attend pas à être rentable tout de suite. Mais on est très heureux des résultats de l’été », lance au téléphone Chris Engelsman, codirecteur d’European Sleeper.

Il faut comprendre que la jeune entreprise privée fait le pari du volume à bas coût pour compétitionner avec les transporteurs nationaux scandinaves, français, italiens, écossais, mais surtout autrichiens.

L’ÖBB est dominant dans le marché intereuropéen des trains de nuit en ce moment, avec des couchettes luxueuses et de nombreuses liaisons européennes.

Mais cela sert d’abord les intérêts de l’État qui finance derrière, croit Chris Engelsman. Selon lui, plus d’options, plus de trajets et plus de concurrence ne peuvent qu’être bénéfiques pour la vitalité des trains de nuit partout en Europe.

« Je préfère tenter d’améliorer les conditions actuelles au lieu de devoir compter sur des aides gouvernementales ou que ce soit tout pensé par des compagnies ferroviaires étatiques. Parce que dès qu’il y a aussi des entreprises privées, la qualité augmente », explique celui qui voulait ramener les trains de nuit dès qu’ils ont été retirés des rails.

Tout juste passé 6 h, après une courte nuit, Fannie cherche désespérément un café sur le quai de la gare Centrale de Berlin.

« Je dirais qu’il faut vraiment être convaincu, parce que c’est vrai que ce n’est pas top confort. Donc, je ne le conseillerais pas à mes parents, par exemple. Mais sinon, c’est l’aventure et pour un week-end de vacances, c’est très bien. »

Malgré le manque de confort, le succès semble au rendez-vous. Selon les données d’European Sleeper, plus de 20 000 personnes ont déjà emprunté le train depuis mai dernier.

L’entreprise a même annoncé le 10 octobre dernier qu’elle étendra son service jusqu’à Prague en mars prochain. Elle vise également un trajet vers Barcelone en 2025.

Chris Engelsman reconnaît tout de même que la première saison basse sera difficile. Surtout s’il ne parvient pas à attirer rapidement les voyageurs d’affaires pour équilibrer les revenus sur l’année et à vendre ses billets ailleurs que sur son propre site internet.

Empreinte carbone d’un trajet Bruxelles-Berlin

Avion

0,23 tonne d’équivalent CO2 émis (663 km)

Voiture (intermédiaire 8,6 L/100 km)

0,15 tonne d’équivalent CO2 émis (758 km) (pour un conducteur seul)

Train

0,05 tonne d’équivalent CO2 émis (650 km)

Source : centre de recherche Carbone boréal, Université du Québec à Chicoutimi1

1. Consultez le site web du centre de recherche Carbone boréal