(Paris) Le premier procès dans l’affaire de la décapitation en 2020 de l’enseignant Samuel Paty par un jeune djihadiste s’est ouvert lundi à Paris, où six anciens collégiens comparaissent à huis clos devant le tribunal pour enfants.

Un deuxième procès, pour juger huit adultes, aura lieu devant la cour d’assises spéciale de Paris fin 2024.

Les jeunes prévenus sont arrivés lundi au tribunal, le visage camouflé, accompagnés de leurs parents et de leurs avocats.

Avant eux, des proches de Samuel Paty sont entrés dans la salle, ainsi qu’une dizaine d’anciens collègues du professeur, qui veulent se constituer partie civile au procès, malgré l’opposition du parquet national antiterroriste.  

Après un débat, le tribunal a décidé qu’il trancherait la question plus tard en permettant aux professeurs d’assister au procès, prévu jusqu’au 8 décembre.

« C’est un soulagement, ça fait trois ans qu’on attend ça, entendre nos élèves », a témoigné l’une d’elle, professeure de lettres dans le même collège, devant la salle d’audience. Samuel Paty, « c’est notre quotidien, on n’enseigne plus du tout pareil aujourd’hui », déclare une autre enseignante, visiblement émue.  

L’Éducation nationale s’est également constituée partie civile, « pour réaffirmer avec force notre volonté de défendre les valeurs de la République que Samuel Paty incarnait », a commenté le ministre de l’Éducation Gabriel Attal, joint par l’AFP.

L’attentat, intervenu sur fond de menace terroriste élevée, avait suscité un immense émoi en France et à l’étranger.  

PHOTO ERIC GAILLARD, ARCHIVES REUTERS

Un mémorial de fortune pour rendre hommage à Samuel Paty a été installé à Nice, en octobre 2020.

Le 16 octobre 2020, l’enseignant en histoire-géographie de 47 ans avait été poignardé puis décapité près de son collège à Conflans-Sainte-Honorine (région parisienne) par Abdoullakh Anzorov, un réfugié russe d’origine tchétchène. Cet islamiste radicalisé de 18 ans avait été tué dans la foulée par la police.

Il reprochait au professeur d’avoir montré des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. Dans un message audio en russe, il s’était félicité d’avoir « vengé le Prophète ».

L’émotion provoquée par ce crime a récemment été ravivée par l’assassinat mi-octobre d’un autre professeur, Dominique Bernard, tué à Arras dans le nord de la France par un jeune islamiste radicalisé.

Cinq adolescents — âgés de 14 et 15 ans à l’époque de l’assassinat de Samuel Paty — sont jugés pour association de malfaiteurs en vue de préparer des violences aggravées. Ils sont accusés d’avoir surveillé les abords du collège et désigné M. Paty à l’assaillant, contre rémunération.

« Il est rongé par les remords », a dit Me Antoine Ory au sujet de son client. « Il est terrorisé, très inquiet de se retrouver face à la famille de Samuel Paty ».

Une sixième adolescente, âgée de 13 ans au moment des faits, comparaît pour dénonciation calomnieuse. Cette collégienne avait, à tort, soutenu que M. Paty avait demandé aux élèves musulmans de la classe de se signaler et de sortir de la classe avant de montrer les caricatures de Mahomet. Elle n’avait en réalité pas assisté à ce cours.

Son mensonge a été à l’origine d’une violente campagne alimentée sur les réseaux sociaux par son père, Brahim Chnina, et par un militant islamiste Abdelhakim Sefrioui, auteur de vidéos qui avaient attiré l’attention sur le professeur.

Ces deux hommes seront jugés lors du second procès.

« Engrenage »

Pour la famille de Samuel Paty, ce premier procès est « fondamental ». « Le rôle des mineurs est essentiel dans l’engrenage qui a conduit à l’assassinat » du professeur, dit Me Virginie Le Roy, qui représente ses parents et l’une de ses sœurs.

« La défense va sans surprise plaider l’erreur de jeunesse » mais ce procès est « très attendu pour qui cherche à comprendre les véritables causes qui ont mené ces collégiens sur le chemin de l’irréparable », a déclaré avant l’ouverture des débats Louis Cailliez, avocat de Mickaëlle Paty, l’une des sœurs du professeur assassiné.

L’enquête avait retracé comment, en dix jours, le piège s’était refermé sur Samuel Paty : du mensonge de la collégienne aux attaques en ligne, jusqu’à l’arrivée de l’assaillant devant le collège le 16 octobre.

« Eh le petit, viens voir, j’ai un truc à te proposer », dit Abdoullakh Anzorov à un adolescent, lui offrant 300 euros pour identifier M. Paty que l’assaillant dit vouloir « filmer en train de s’excuser ».  

Le collégien « se vante » et relaie la proposition, ne se « sentant pas de le faire tout seul ». Quatre autres le rejoignent, d’après des témoignages cités dans l’ordonnance des juges d’instruction consultée par l’AFP.

Certains font des allers-retours entre le collège et la « cachette » d’Anzorov, surveillent, ou se filment avec des billets.

L’assaillant demande à l’un d’eux de téléphoner à l’adolescente à l’origine de l’affaire. Elle réitère son mensonge, sans savoir qu’il écoutait, assurera-t-elle.

Lors d’auditions où ils se sont effondrés en larmes, les collégiens ont juré avoir imaginé que le professeur se ferait tout au plus « afficher sur les réseaux », peut-être « humilier », « taper »… mais que « jamais » que ça irait « jusqu’à la mort ».

À la sortie des classes, Samuel Paty est désigné par les adolescents : « Il est là ». Il sera assassiné peu avant 17 h.

Les adolescents sont aujourd’hui lycéens. Ils encourent deux ans et demi d’emprisonnement.