(Barcelone) Une réunion à l’étranger en présence d’un médiateur international inconnu : le secret entourant le lancement de négociations entre la gauche au pouvoir en Espagne et l’indépendantiste Carles Puigdemont sur la crise séparatiste en Catalogne provoque une vive controverse dans le pays.

En échange du soutien de ses députés à la reconduction au pouvoir mi-novembre du socialiste Pedro Sánchez, le parti de Puigdemont, Junts per Catalunya, a obtenu l’adoption prochaine d’une loi controversée d’amnistie pour les indépendantistes poursuivis par la justice, mais aussi l’ouverture de négociations sur « la reconnaissance de la Catalogne comme nation ».

Et en raison de leurs « divergences profondes » sur cette question et de leur « méfiance mutuelle », Junts et les socialistes se sont dotés, mentionne leur accord, d’un « mécanisme […] international ayant pour fonction d’accompagner, vérifier et suivre tout le processus de négociation ».

Selon les médias espagnols, la première manche de ces négociations doit se tenir samedi, a priori à Genève.  

Carles Puigdemont, qui a fui l’Espagne après l’échec de la tentative de sécession de la Catalogne en 2017 pour échapper aux poursuites judiciaires, devrait y être présent aux côtés d’un membre du premier cercle de M. Sánchez, Santos Cerdan.

Disant vouloir garder la plus grande discrétion, ni Pedro Sánchez ni Junts n’ont confirmé ou démenti ces informations. Ils ont également refusé de dévoiler l’identité du médiateur.  

« Mécanisme exceptionnel »

Si le lieu se confirme, le choix de la Suisse, « pays neutre », et des bords du lac Léman, haut lieu de la diplomatie, ne doit rien au hasard, souligne Cristina Monge, politologue à l’université de Saragosse.

M. Puigdemont cherche, selon l’universitaire, « à mettre en scène » l’idée selon laquelle la crise catalane est un « conflit politique qui a besoin d’une médiation pour être résolu » et non une violation de la légalité par les séparatistes, qui ont organisé en 2017 un référendum malgré son interdiction par la justice avant de déclarer unilatéralement l’indépendance.

Interrogé jeudi sur la télévision publique, Pedro Sánchez a défendu l’idée d’une médiation internationale.

« Ce mécanisme est exceptionnel », a-t-il reconnu, mais la crise séparatiste en Catalogne qui constitue « l’un des principaux problèmes […] vécus par ce pays depuis 45 ans » et la fin de la dictature franquiste en 1975 est « également exceptionnelle », s’est-il justifié.  

« Si deux parties ne s’entendent pas et qu’une troisième nous accompagne […], c’est une bonne nouvelle, car cela peut nous aider à parvenir à un accord », a-t-il ajouté.

PHOTO JUAN MEDINA, ARCHIVES REUTERS

Pedro Sánchez

Les positions des indépendantistes et des socialistes sur l’avenir de la Catalogne seront toutefois difficiles à rapprocher tant elles sont antagonistes.

Carles Puigdemont réclame à cor et à cri l’organisation d’un référendum d’autodétermination, une ligne rouge pour les socialistes qui rejettent une telle consultation contraire à la Constitution espagnole.  

Ils prônent pour leur part un renforcement de l’autonomie de la riche région du nord-est de l’Espagne, peuplée de près de 8 millions d’habitants et déjà dotée de larges compétences.  

Puigdemont « jusqu’au-boutiste »

L’opposition de droite, qui va encore descendre dans la rue dimanche à Madrid, dénonce elle la « soumission » de Pedro Sánchez aux indépendantistes catalans.

« Pourquoi l’Espagne doit-elle négocier son avenir depuis l’étranger ? Au nom de la majorité des Espagnols, nous exigeons de connaître la vérité. Qui sont les médiateurs ? Que négocient-ils ? », a lancé jeudi le chef du Parti Populaire (PP, droite), Alberto Núñez Feijóo.

Soutien habituel du gouvernement, le quotidien El Pais a également affiché son malaise.

« La mise en scène » demandée au Parti socialiste par M. Puigdemont « semble assimiler son parti à une organisation clandestine en exil », a-t-il écrit vendredi dans un éditorial, dénonçant une concession du gouvernement « pas nécessaire et contre-productive ».

D’autant, selon les analystes, que l’indépendantiste ne peut pas être vu comme un allié fiable garantissant la stabilité du gouvernement minoritaire de M. Sánchez durant toute la législature.

En acceptant ses exigences, dont la loi d’amnistie qui « divise très profondément l’opinion publique », Pedro Sánchez a pris « une décision très risquée », estime Ana Sofía Cardenal, professeure de sciences politiques à l’université ouverte de Catalogne (UOC).

Selon l’experte, le dirigeant socialiste « sous-estime le jusqu’au-boutisme de Puigdemont, qui est tout-puissant » au sein de sa formation et est réputé pour être imprévisible.