(Kyiv) Des forêts ravagées, des villes inondées… Depuis le début de l’invasion russe et après bientôt deux ans de guerre, les destructions de l’environnement en Ukraine sont une « tragédie » d’une ampleur rare qui affectera « plusieurs générations », s’inquiètent des experts.

Même si « tous les conflits » sont néfastes pour la nature, la guerre en Ukraine l’est « particulièrement », selon Doug Weir, directeur de recherche à l’ONG britannique Conflict and Environment Observatory.

Contrairement aux guerres limitées à une zone restreinte, la ligne de front est cette fois « incroyablement longue » et les combats s’éternisent, ce qui multiplie les dégâts, note-t-il.

Aux tirs d’artillerie intenses s’ajoutent la pollution due aux attaques fréquentes sur les infrastructures énergétiques ou encore les tonnes de débris générés par les bombardements en zone urbaine, énumère l’expert, pour qui la nature est « une victime de la guerre en Ukraine, massivement ».

Le coût du préjudice environnemental est estimé début novembre à « 56 milliards de dollars, une somme faramineuse », affirme Jaco Cilliers, représentant du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en Ukraine. « L’échelle de la tragédie est énorme ».

Près de 30 % des zones forestières ukrainiennes et environ 20 % des parcs naturels nationaux ont été affectés par la guerre, affirme de son côté Rouslan Strilets, ministre ukrainien de la Protection de l’Environnement et des Ressources naturelles.

Les arbres détruits durant les combats « poussaient depuis des décennies, parfois des siècles, et en quelques jours [les Russes] ont brûlé ces écosystèmes précieux », où de nombreuses espèces animales vivaient, déplore-t-il auprès de l’AFP.

La guerre est déjà responsable d’environ « 150 millions de tonnes » d’émissions d’équivalent CO2, davantage que ce qu’émet la Belgique en une année, a déclaré lundi Viktoria Kireïeva, vice-ministre ukrainienne de la Protection de l’Environnement et des Ressources naturelles, en marge de la COP28.

Vision « incomplète »

Dans l’est du pays, où les affrontements sont particulièrement féroces, une forêt de chênes vieille de plus de 300 ans a « été entièrement détruite », selon Bohdan Vykhor, directeur de WWF-Ukraine.

Quant au déminage des quelque 30 % du territoire qui ont été minés ou pourraient l’avoir été, cela risque de durer des « décennies », reprend M. Strilets.

Estimer la véritable étendue des dégâts prendra aussi des années, d’après les spécialistes.

Une grande partie du territoire ukrainien est inaccessible, à cause de l’occupation russe ou de la proximité de la ligne de front. À distance, les experts doivent tâtonner, s’appuyant souvent sur des images satellites ou celles postées sur les réseaux sociaux.

« La vision que nous avons actuellement est donc toujours incomplète », regrette Doug Weir.

Impossible, par exemple, de connaître le nombre de dauphins tués en mer Noire, devenue aussi zone de guerre.

« Nous avons officiellement enregistré un millier de morts de dauphins », dont certains désorientés par le bruit de l’activité militaire, explique Rouslan Strilets, mais « les scientifiques parlent de dizaines de milliers ».

Soutenir l’armée

Certaines destructions ont été très médiatisées, comme l’explosion du barrage de Kakhovka sur le fleuve Dniepr, qui a provoqué des inondations spectaculaires et meurtrières l’été dernier dans le sud de l’Ukraine.

Iegor Hrynyk, expert du groupe Ukrainian Nature Conservation Group (UNCG), redoute que le conflit n’ait aussi des effets moins visibles, en poussant par exemple le pays à « exploiter davantage les ressources naturelles », notamment en abattant davantage d’arbres, pour faire face au coût de la guerre.

« N’oublions pas que les batailles sont gagnées par les armées et les guerres sont gagnées par les économies », réplique Rouslan Strilets, qui promet néanmoins que la relance économique ne se fera pas « aux dépens de notre environnement ».

Pour les écologistes, faire entendre sa voix quand les bombes pleuvent reste aussi complexe.

« Il est devenu de plus en plus difficile d’attirer l’attention » sur ces sujets, se désespère Iegor Hrynyk, à qui on répond souvent que ce n’est pas le moment, et qu’il faudra y réfléchir « une fois la guerre terminée ».

Selon Doug Weir, son organisation reçoit parfois « des messages ou des tweets disant : “ Pourquoi vous préoccupez-vous de l’environnement dans un conflit alors que tant de gens meurent ? ” ». Or, « si vous voulez respirer, manger, boire, l’environnement est clef », rappelle-t-il.

« Nous devons comprendre que les destructions environnementales ont des conséquences longues, qui affecteront plusieurs générations et dépasseront largement les frontières de l’Ukraine », plaide Jaco Cilliers.

Mais, même pour un militant comme Iegor Hrynyk, la « priorité numéro un, y compris en termes d’environnement », reste de soutenir l’armée ukrainienne afin d’éloigner les soldats russes, vus comme la pire menace.

« Au plus tôt la Russie est vaincue, au plus tôt nous pourrons retourner à notre vie normale et faire de l’environnement une priorité. »