(Paris) En improvisant en quelques minutes le slogan « Je suis Charlie », son auteur ne se doutait pas qu’il serait à l’origine d’un cri de ralliement mondial. Neuf ans après, l’histoire lui paraît « lunaire ».

Joachim Roncin la raconte dans un livre qui paraît mercredi, Une histoire folle : comment j’ai créé Je suis Charlie et le voyage en Absurdie qui a suivi (éditions Grasset).

Le 7 janvier 2015, jour de l’attentat qui coûte la vie à 12 membres du magazine Charlie Hebdo à Paris, il est à son travail de directeur artistique d’un autre magazine, Stylist.

Comme nombre de Français, il est horrifié par cette attaque djihadiste dans la capitale, contre un journal satirique qui fait partie de sa jeunesse, lui qui a 38 ans à l’époque. Il griffonne des « Charlie » sur un carnet. Puis « Je suis » devant l’un d’eux.

« Je lance Illustrator, logiciel avec lequel je travaille chaque jour, et j’écris JE SUIS. D’abord une typo noire sur fond blanc. Je me ravise, elle sera blanche sur fond noir […] J’ajoute CHARLIE […] Je poste mon tweet », à 12 h 52, écrit aujourd’hui Joachim Roncin.

Sur Times Square

Ce tweet existe toujours. Et l’image qu’il contient est gravée dans la mémoire collective, à force d’avoir circulé, reprise en chœur par les millions de personnes qui ont manifesté leur soutien aux victimes de cet attentat, ou commentée à l’infini par ceux qui approuvaient ou critiquaient le slogan.

La disproportion saute aux yeux, dans le récit, entre l’intention de départ, qui est de partager son émoi, et la portée planétaire de ces trois mots qui vaudront à Joachim Roncin des sollicitations médiatiques incessantes, pendant des semaines.

« C’est lunaire, en fait », dit-il à l’AFP. « Si c’était à refaire, peut-être que je ne répondrais pas » à tous ces journalistes.

« Je suis Charlie » fera passer cet anonyme à la télévision, malgré ses réticences. Il incitera le président ukrainien Petro Porochenko à recevoir son auteur, qui a une mère ukrainienne. Il décorera la page d’accueil de Google et Times Square à New York. Il inspirera des « Je ne suis pas Charlie ».

Mais que voulaient dire ces trois mots à l’origine ? Même avec le recul, le livre ne donne pas de réponse définitive.

« Insouciance que je regrette »

« Tout ça est tellement parti vite, que trouver un sens véritable, immuable, non, je pense qu’il n’y en aura jamais vraiment », explique Joachim Roncin.

Il n’en connaît que le terreau : « La nostalgie d’une enfance, d’un passé, d’un frère disparu… Je pense que Charlie Hebdo a été un de ces petits éléments constitutifs de ce que j’ai été […] Et, avec la tragédie, on perd de cette insouciance. C’est cette insouciance que je regrette ».

« Comme moi, le slogan aura eu mille vies depuis 2015 », écrit celui qui est devenu directeur du design des Jeux olympiques de Paris 2024.

Joachim Roncin constate qu’il a dérivé à droite, vers l’hostilité à l’islam politique, alors qu’il contient le nom d’un magazine très à gauche.

L’un des combats de son créateur, détaillé dans l’ouvrage, a été de l’empêcher de servir à faire du profit. Certains s’étaient empressés de le déposer comme marque auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI).

« Dans ces moments de trouble, on a très envie d’aider, on a très envie d’avoir un t-shirt Je suis Charlie », se souvient-il. « Je regarde. Et je me rends compte qu’il y a 120 dépôts de marque à l’INPI. Ça me semble dingue. Notamment dans certaines catégories telles que l’armement : il y aurait pu y avoir des flingues Je suis Charlie. »