Face au prix excessif des loyers et mus par une réelle envie de partage, des étudiants français cherchent à se loger dans des maisons de retraite pour aînés. Un dispositif qui a tendance à se multiplier.

(Lille et Châtillon, France) Il est à peine 9 h du matin, mais Thao Dam s’affaire déjà. Les clés de sa chambre calées autour du cou, comme tous les autres résidants de la maison de retraite Notre Dame des Anges (à Lille), la trentenaire a déjà fait couler plusieurs litres de café. Entre deux salutations aux résidants, elle s’assure que tout est en place pour l’atelier pâtisserie, qui commencera dans une heure. La dernière de ses activités au sein de la maison de retraite. En ce 29 août, après deux ans de cohabitation, Thao Dam s’apprête à déménager.

La femme d’origine vietnamienne n’est pas animatrice de la maison de retraite, mais résidante et étudiante en psychologie. Tous ses voisins ont plus de 60 ans. « Bonjour, Mme Martinez ! », lance-t-elle entre deux explications sur son quotidien. Les résidants commencent petit à petit à aller s’installer dans la salle d’activité. « Quand je suis arrivée, j’étais très timide. Après un an ici, j’ai pu faire l’animation toute seule », confie l’étudiante qui s’apprête à passer en 3e année de licence professionnelle.

Voilà tout le principe du dispositif.

En s’engageant entre 15 et 30 heures par mois auprès des personnes âgées, Thao Dam bénéficie d’un studio au sein de la maison de retraite, située au cœur de Lille.

Le tout moyennant 250 euros (360 $ CAN) de loyer mensuel. Moitié moins que les 517 euros (746 $) moyens nécessaires à la location d’un studio dans la grande ville du nord de la France. Faire vivre des étudiants dans les structures pour personnes âgées en échange de temps passé avec elles est bénéfique pour toutes les parties. « Ça permet de partager du temps, des passions et ça fait grandir les étudiants personnellement et professionnellement », note Céline Andernack, directrice de Notre Dame des Anges.

Pour Thao Dam, l’heure est aux adieux. Mais l’ultime atelier pâtisserie est joyeux. En binôme avec une animatrice professionnelle, alors que les chansons de Michel Delpech défilent en fond sonore, les résidants n’ont que des compliments à faire à l’étudiante. « Gentille, formidable, très consciencieuse », les adjectifs s’accumulent pour la définir.

Puis, en « bons élèves », comme ils disent eux-mêmes, ils se plongent dans la confection d’une tarte aux pommes. Quand Thao aide Mme Martinez à beurrer le moule, Mme Mouely et M. Mercier s’appliquent à peler les pommes. Assise dans un fauteuil, Mme Bernard demande à intervalle régulier : « Qu’est-ce qu’on fait là ? » Et les résidants de répondre à la cantonade : « Une tarte aux pommes ! » C’est à Thao Dam que revient la responsabilité de veiller sur la cuisson des tartes qui devront être parfaites pour son dernier goûter. Les prochains, elle les fera chez sa nouvelle hébergeuse, une personne âgée qui vit seule et met à disposition une chambre chez elle, moyennant du temps passé. Un autre dispositif développé par l’association lilloise Générations et culture, qui suit Thao Dam depuis son arrivée en France.

PHOTO LOLA BRETON, COLLABORATION SPÉCIALE

Simon Groseille, dans la salle de cinéma privée de la résidence pour aînés où il habite.

En région parisienne, Paolo Derrien-Le Paire et Simon Groseille vivent une version moins médicalisée et plus haut de gamme de l’expérience de Thao Dam. À la Villa Beausoleil de Châtillon, résidence pour personnes âgées où tous les habitants ont leur propre appartement tout équipé, des notes de piano s’échappent du hall d’entrée. Les deux étudiants y vivent, pour 350 euros (505 $) mensuels et 30 heures d’activités partagées avec les personnes âgées.

Paolo Derrien-Le Paire est arrivé début septembre. Le jeune homme est en première année de licence d’histoire. « J’ai toujours aimé être entouré de seniors », confie-t-il.

Je voyais que mes grands-parents souffraient de ne pas voir leurs petits-enfants souvent, et ça m’a donné envie de faire cette démarche pour être comme un petit-fils au quotidien.

Paolo Derrien-Le Paire, étudiant qui réside en maison de retraite

À peine commence-t-il à nous expliquer ses motivations et son envie de partage avec une génération « pleine de sagesse et d’expérience » que Paolo est appelé pour faire une promenade avec un groupe de résidants. Il prend les devants, soutenu par Simon, étudiant en cinéma qui entame sa deuxième année à la Villa Beausoleil.

Comme pour Thao Dam, les amis de Simon Groseille « sont choqués au début » quand ils apprennent où il vit. « Mais ensuite, ils trouvent ça intéressant, surtout quand ils apprennent qu’il y a une piscine. » Les deux jeunes Bretons réalisent la chance qu’ils ont d’évoluer dans ce cadre. « C’est un métier en soi, mais je me verrais bien rester. J’ai, avec les résidants, les mêmes relations que j’aurais avec un voisin », estime Simon. Des voisins avec qui il regarde des films, le soir, dans la salle de cinéma privée de la résidence. Une manière de partager sa passion du cinéma tout en créant des liens avec ses aînés, pleins d’histoires.