(Moscou) Des images rares : des centaines de Moscovites faisant la queue pour soutenir un ex-député libéral qui collecte les signatures pour devenir le candidat de la « paix » et contre Vladimir Poutine à la présidentielle des 15-17 mars.

Depuis samedi, malgré un froid glacial, des milliers de Russes patientent pour apposer leur paraphe en soutien à Boris Nadejdine, pourtant largement méconnu du grand public.

Les uns après les autres, ils pénètrent dans la permanence électorale dont l’entrée est frappée des mots : « Pousse la porte de l’avenir ».  

S’ils sont là, c’est que l’ex-élu, passé par l’opposition libérale mais aussi des mouvements davantage dans la ligne des autorités, se dit opposé à l’offensive russe en Ukraine.  

Jusqu’ici, Boris Nadejdine, qui avait ses entrées au sein du régime, n’a pas été visé par la répression qui a pourtant décimé la société civile russe depuis l’entrée en masse des troupes de Moscou en Ukraine en février 2022.

« Sans craindre l’arrestation »

PHOTO EVGENIA NOVOZHENINA, REUTERS

Boris Nadejdine

Dimanche encore, lors d’un débat sur YouTube avec la journaliste russe, aujourd’hui exilée, Ioulia Latynina, il a réaffirmé être pour la paix et vouloir en finir avec la mobilisation s’il est élu.  

Ces derniers mois, il avait proclamé que la Russie devait « élire un nouveau président » et qualifié l’intervention en Ukraine « d’erreur fatale » de Vladimir Poutine.

Pour concourir à la présidentielle, il doit d’abord notamment collecter d’ici au 31 janvier 100 000 signatures d’électeurs. Son site affirmait en avoir rassemblé près de 85 000 lundi soir.

Ses prises de positions sont une exception en Russie, où la quasi-totalité des figures opposées à l’assaut contre l’Ukraine ont fui le pays ou ont été emprisonnées. Tout comme des milliers d’anonymes d’ailleurs.  

Les autres candidats à la présidentielle se gardent d’exprimer la moindre critique à l’égard de l’offensive russe et de M. Poutine.

Dans la queue des signataires, un étudiant en biotechnologie de 19 ans, Ivan Semionov, raconte être venu soutenir M. Nadejdine car il a été « ému par ces images étonnantes diffusées ce week-end sur les réseaux sociaux, montrant tant de gens venus (le) soutenir ».

« Pour nombre de gens c’est la possibilité d’exprimer leur désaccord avec ce qui se passe, sans craindre d’être arrêtés ou limogés », explique le jeune homme.

Originaire d’Omsk, en Sibérie occidentale, l’infirmière Natalia Avdeeva, de passage à Moscou, s’est précipitée à la permanence électorale de l’opposant. Elle est « agréablement étonnée » de voir une telle foule.

« On est tous solidaires ici pour soutenir un candidat opposé à l’opération spéciale », dit la femme de 53 ans, utilisant l’euphémisme de rigueur pour parler du conflit.

« Espoir »

Député libéral à la Douma, la chambre basse du Parlement, au début des années 2000, Boris Nadejdine a été proche de l’opposant Boris Nemtsov, assassiné en 2015. Ces dernières années, il s’était rapproché de formations politiques plus proches du Kremlin, sans pour autant en suivre totalement la ligne.

Vladimir Poutine, au pouvoir depuis près d’un quart de siècle, devrait néanmoins être réélu une fois encore au Kremlin à la mi-mars.

Pourtant, c’est avec enthousiasme que des centaines d’anonymes font la queue devant la permanence de M. Nadejdine.  

Certains relèvent que même le nom de famille du candidat les inspire, sa racine étant la même que le mot « nadejda », « espoir » en russe.

Andreï Vanioukov, entrepreneur de 52 ans de Syktyvkar, dans le Grand Nord russe, sait que le président sortant restera en place, mais il veut « soutenir n’importe qui du moment qu’il est contre » Poutine.

« Même si Nadejdine n’a aucune chance de gagner le scrutin […], pour les gens qui ne sont jamais sortis protester dans la rue par peur de la répression, c’est enfin une occasion de s’exprimer », dit-il.

Valéry Bredikhine, psychologue de 36 ans, confirme : il se contente de cette « possibilité de s’exprimer sans risque d’être mis en prison ou matraqué ».

Ksenia Goloubtsova, elle, dit vouloir « surtout du changement ! ». « Je veux que mes deux fils qui ont chacun quatre ans, vivent dans un pays plus ouvert, plus libre ».