Les propos misogynes de l’acteur Gérard Depardieu à l’égard d’une fillette révélés récemment ont fait réagir ici, particulièrement quand le président Emmanuel Macron a pris sa défense. Un nouveau rapport du gouvernement français sur le sexisme dans ce pays jette un éclairage sur la société française, avec une question en filigrane : pourquoi réprime-t-on si fortement les autres formes de haine alors qu’on laisse la haine des femmes s’exprimer si librement ?

Il y a urgence d’agir

Presque une femme sur deux chez les 25 à 49 ans « a vécu au moins une situation de non-consentement », mais « seulement 23 % des hommes reconnaissent avoir été l’auteur » d’au moins un de ces actes. Telles sont quelques-unes des statistiques frappantes contenues dans l’État des lieux du sexisme en France, rapport annuel 2024 que vient de faire paraître le Haut Conseil à l’Égalité (HCE), un organisme gouvernemental.

Neuf femmes sur dix disent avoir « déjà renoncé à des actions ou modifié leur comportement pour ne pas être victime de sexisme », et 86 % des femmes déclarent « avoir déjà personnellement vécu une situation sexiste ».

« C’est aux racines du sexisme qu’il faut s’attaquer », et « de toute urgence », peut-on lire dans le rapport.

« Le sexisme commence à la maison, continue à l’école et explose en ligne. »

Le Haut Conseil à l’Égalité relève que « l’immense majorité de la population française […] se dit choquée par l’impunité dont bénéficient les actes et les propos sexistes ».

Mais « plus l’engagement en faveur des femmes s’exprime dans le débat public, plus, en face, la résistance s’organise ».

La place des hommes menacée aux yeux de certains

Selon les données du HCE, 37 % des hommes considèrent que le féminisme menace la place et le rôle des hommes et 32 % estiment qu’ils sont en train « de perdre leur pouvoir ».

Le rôle de l’homme est encore perçu de façon très traditionnelle en France : 70 % des hommes pensent « qu’ils doivent prendre soin financièrement de leur famille pour être respectés dans la société » – c’est le cas de 63 % des Françaises aussi.

Pour correspondre à ce qu’on attend d’elles dans la société, 60 % des femmes et 45 % des hommes pensent qu’« il faut qu’elles soient discrètes ».

De fait, 44 % des femmes déclarent « qu’elles font attention à ne pas hausser le ton » (en hausse de trois points).

Femmes, au foyer ?

Plus de la moitié de la population « trouve encore normal ou positif qu’une femme cuisine tous les jours pour toute la famille ».

L’injonction de la maternité reste forte : 54 % des femmes de 25 à 34 ans pensent « qu’on attend des femmes qu’elles aient des enfants ».

« Les réflexes masculinistes et les comportements machistes s’ancrent, en particulier chez les jeunes hommes adultes, pendant que l’assignation des femmes à la sphère domestique et au rôle maternel gagne du terrain », écrivent les auteurs.

Ils notent par ailleurs que « le retour de ces injonctions conservatrices s’observe bien sur les réseaux sociaux, notamment à travers le succès des tendances #tradwife (contraction des mots anglais traditional et wife) et #stayathomegirlfriend, pouvant se traduire par “épouse traditionnelle” ».

Aussi, selon les données du Haut Conseil à l’Égalité, seuls 36 % des répondants « considèrent que l’égalité est atteinte dans la vie de famille, la vie du foyer ».

Et tout cela n’est pas banal, selon cet état des lieux du sexisme en France.

« Ces constats sont gravissimes, car cette persistance du sexisme est à l’origine de violence plus grave envers les femmes, dont le nombre ne diminue pas, voire augmente dans certaines sphères. »

Le travail, haut lieu de la discrimination

Encore aujourd’hui, 28 % des hommes pensent que « les hommes sont davantage faits pour être patrons ».

De façon générale, le monde du travail reste perçu « comme la sphère la plus inégalitaire, tant dans le choix des métiers exercés que dans les carrières et rémunérations, à qualification et compétence égales », est-il écrit.

Seulement 20 % de la population considère que les femmes et les hommes y sont égaux en pratique, « ce qui est corroboré par les enquêtes statistiques officielles, puisque le revenu salarial des femmes reste inférieur en moyenne de 22 % à celui des hommes » en France.

Les menaces contre les femmes

En 2022, 118 femmes ont été victimes d’un féminicide. « Nous signalons leur baisse en 2023 », puisqu’ils seraient au nombre de 94 l’an dernier. « Cela, nous ne pouvons que l’espérer, conforte l’idée que les moyens mis en œuvre pour lutter contre les violences ont des effets. »

Par contre, au quotidien, le HCE dénonce « une privation toujours plus forte de leur liberté au quotidien. Par exemple, 58 % des répondantes de l’enquête ont déclaré qu’elles ont déjà renoncé à sortir faire des activités seules ».

Le sexisme commence jeune

« L’école fabrique du sexisme », fait observer le HCE, qui note que « plus d’une personne sur deux considère que femmes et hommes n’y connaissent pas le même traitement ».

Pas moins de 62 % des filles et des femmes âgées de 15 à 24 ans et 51 % des garçons et des hommes de la même tranche d’âge estiment qu’à l’école, les garçons manquent de respect envers les filles.

Le rapport évoque par exemple une étude en éducation1 selon laquelle les filles « sont interrogées 30 % de temps en moins que les garçons, essentiellement pour des raisons de captation d’attention. Ceci a une implication directe sur la confiance en soi des filles et leur ambition scolaire ».

Mais la toute première exposition au sexisme demeure la famille.

« Les parents, sans s’en rendre compte, reproduisent les schémas genrés les plus traditionnels. »

Entre autres, « les filles sont 40 % à considérer que les hommes sont mieux traités à la maison en ce qui concerne spécifiquement les tâches ménagères ».

Les effets de la porno

Le Haut Conseil à l’Égalité note que pas moins de 64 % des hommes de 25 à 34 ans adhèrent à l’affirmation voulant que « la pornographie donne envie de reproduire les gestes sexuels et qu’il ne faille pas la diaboliser ».

Et cela, précise le rapport, alors que selon l’Institut d’études opinion et marketing (IFOP)⁠2, « 33 % des jeunes hommes de 18 à 24 ans estiment que la pornographie a eu une influence négative sur leur sexualité ».

Le HCE cite par ailleurs une étude britannique⁠3 selon laquelle 47 % des garçons estiment que les filles « s’attendent à ce que les rapports sexuels impliquent une agression physique » et 42 % pensent que la plupart des filles « apprécient les actes d’agression ».

Discours haineux

En plus de recommander davantage de programmes d’éducation, le HCE estime que la France doit « davantage actionner les outils juridiques qui permettent de sanctionner le sexisme, afin qu’il ne soit plus appréhendé comme une forme de discours de haine qui serait plus légitime que d’autres ».

Car pour le Haut Conseil à l’Égalité, le discours sexiste « est mieux admis que tout autre discours haineux », « culturellement inoculé tout au long de la vie ». Le discours sexiste est « trop rarement repéré, retenu, donc puni, que ce soit au travail, dans la rue, en ligne ou dans les médias ».

Consultez le Rapport annuel 2024 sur l’état du sexisme en France

Quelques chiffres

  • 32 % des hommes français estiment qu’ils sont en train « de perdre leur pouvoir »
  • 28 % des répondants pensent que « les hommes sont davantage faits pour être patrons »
  • 58 % des répondantes affirment qu’elles ont déjà renoncé à sortir pour faire des activités seules
  • 70 % des hommes pensent « qu’ils doivent prendre soin financièrement de leur famille pour être respectés dans la société »
  • Seulement 20 % de la population estime qu’hommes et femmes sont égaux au travail en pratique.

Source : Rapport annuel 2024 sur l’état du sexisme en France

1. « La prise de parole entre filles et garçons au cycle 3 : le pouvoir aux garçons ? », Océane Garcia et Charline Morau, Éducation, 2017

2. Enquête sur les effets du porn sur la sexualité et les rapports de genre, IFOP, 2023

3. « A lot of it is actually just abuse – Young People and Pornography », Children’s Commissionner for England, Janvier 2023