(Bordeaux) La mobilisation des agriculteurs français s’est amplifiée mercredi avec une multiplication des blocages pour obtenir des « réponses concrètes » du gouvernement, à la veille d’une réunion à Bruxelles sur une grogne qui touche d’autres grands pays agricoles européens.

La Commission européenne réunira jeudi organisations agricoles, secteur agroalimentaire, ONG et experts pour tenter de calmer la colère des agriculteurs qui menace de prendre de l’ampleur.

En Pologne, des agriculteurs ont bloqué plus de 160 routes à travers le pays, pour dénoncer les importations « incontrôlées » de produits agroalimentaires ukrainiens et demander une révision de la Politique agricole commune.

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Des agriculteurs polonais conduisent lentement leurs tracteurs sur une route de Deblin, en Pologne, le mercredi 24 janvier 2024.

Et à Bruxelles, des organisations flamandes ont manifesté mercredi, tandis qu’un syndicat agricole a annoncé vouloir organiser des « barrages filtrants » la semaine prochaine en Wallonie.

Sous pression, le gouvernement français a dit avoir « entendu l’appel » et promet des annonces « dans les jours à venir ». La principale organisation syndicale FNSEA a prévenu que les demandes des agriculteurs représentaient une enveloppe de « plusieurs centaines de milliers d’euros ».  

La porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot, a évoqué des pistes à l’étude sur la fiscalité du gazole non routier (GNR) et « les avances de trésorerie ».

Le nouveau premier ministre Gabriel Attal, qui s’est engagé à se rendre « très rapidement sur le terrain », avait dit mardi plancher sur la rémunération des agriculteurs par les industriels et les grandes surfaces, ainsi que sur une simplification administrative.

Endeuillé par les morts accidentelles d’une éleveuse et de sa fille mardi sur un barrage routier, le mouvement dit y avoir puisé une « rage » supplémentaire.

Marges de la grande distribution, jachères, pesticides, normes environnementales, autorisations administratives, prix du gazole… Cultivateurs et éleveurs n’ont pas tous les mêmes demandes, mais partagent un même malaise, écartelés entre désir de produire et nécessité de réduire leur impact sur la biodiversité et le climat.

« C’est un ras-le-bol général, ça fait des mois qu’on essaie de le dire à nos politiques, mais rien ne bouge », a déclaré Julien Duchateau, agriculteur dans le Pas-de-Calais (nord).

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Des agriculteurs français déversent des pommes de terre et des déchets avec leurs tracteurs pour bloquer la sous-préfecture de Guingamp, en France.

« Il y a un sacré mal-être chez les paysans », a aussi relevé Patricia Dagoré, agricultrice au Pays basque (sud-ouest) et membre du syndicat majoritaire FNSEA.

« On nous impose toujours plus de normes. Mais comment faire pour les appliquer ? Les mettre toutes en œuvre, ça coûte. Aujourd’hui, on a tous la corde au cou, des trésoreries dans le rouge », a-t-elle poursuivi lors du blocage d’une autoroute à Bayonne (sud-ouest) mardi soir.

Également dans le Sud-Ouest, des manifestants ont lancé un ballot de paille dans un restaurant McDonald’s d’Agen, tandis que 200 tracteurs bloquaient la rocade de Bordeaux depuis mercredi matin.  

Une minute de silence a été observée en hommage à l’éleveuse d’une trentaine d’années et sa fille adolescente percutées par une voiture sur un barrage mardi à Pamiers (Ariège, dans les Pyrénées françaises).

« On a la rage de continuer, pour cette famille qui est décédée. Ils étaient comme nous, passionnés… », a lancé Yoan Joannic, 20 ans, producteur de céréales au sud de Bordeaux.

Pas sur la même ligne

Près d’une semaine après avoir débuté en Occitanie, le mouvement touche désormais tout le pays, le malaise du monde paysan s’exprimant aussi ailleurs en Europe.

Les trois principaux syndicats de la profession ont été reçus entre lundi et mardi par le premier ministre Gabriel Attal. Sans appeler à lever les blocages à la sortie.

Le blocage d’axes routiers est « un moyen pour obtenir rapidement des décisions », a souligné Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, en écartant « à ce stade » un éventuel blocage de Paris.  

Mais tous les syndicats ne sont pas sur la même ligne. Laurent Thérond, un porte-parole de la Confédération paysanne dans le Vaucluse (sud-est), qualifie ainsi les dirigeants de la FNSEA de « pompiers pyromanes » en critiquant leur approche productiviste.

Dans cette région, un convoi d’environ 70 tracteurs a emprunté l’autoroute « du soleil », à la hauteur du péage d’Orange pour remonter vers la Drôme plus au nord, et ont été rejoints par des agriculteurs de ce département, où les deux cortèges ont coupé l’autoroute à hauteur de Montélimar.

De multiples ronds-points, péages ou bretelles d’autoroutes ont été occupés ces dernières heures, sans compter les opérations escargots, dans de nombreuses régions ou l’interception d’un camion espagnol dont le chargement – des légumes surgelés – a été vidé sur la route.