Le milieu enseignant français attendait de pied ferme la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, inexpérimentée dans le domaine. La controverse n’a pas tardé : dès le lendemain de sa nomination, le 11 janvier, Amélie Oudéa-Castéra a justifié l’envoi de ses trois enfants dans une prestigieuse école privée par les absences des enseignants non remplacés au public. Depuis, la femme de 45 ans reste plongée au cœur de polémiques.

« J’ai rarement vu quelqu’un qui fait une bourde aussi lourde à l’entrée en fonction », commente au téléphone Guillaume Courty, professeur de sciences politiques à l’Université de Picardie Jules Verne.

La ministre de l’Éducation nationale, qui a aussi conservé le portefeuille des Sports et des Jeux olympiques lors du remaniement ministériel, a touché un point sensible : la disparité entre les écoles publiques et privées.

Questionnée sur la scolarisation au privé de ses trois fils, Mme Oudéa-Castéra a affirmé avoir vu « des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées » lorsque les enseignants de l’école publique s’absentaient. « À un moment, on en a eu marre, comme des centaines de milliers de familles qui, à un moment, ont fait un choix d’aller chercher une solution différente », a-t-elle ajouté.

PHOTO THOMAS SAMSON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le collège Stanislas, dans le 6e arrondissement de Paris

La proximité du domicile familial avec l’école Stanislas à Paris, où ses enfants sont scolarisés, a aussi pesé dans la balance, a-t-elle expliqué, tout comme leur bonheur à l’école. L’établissement est souvent dépeint comme élitiste et conservateur. Mediapart a en outre révélé que le fils aîné de la famille, comme d’autres élèves de l’école, avait bénéficié du contournement d’une plateforme nationale d’admission pour l’enseignement supérieur.

« Sentiment de guerre »

Les commentaires de la ministre ont provoqué un tollé. D’autant plus que des médias français ont révélé qu’un seul de ses enfants avait passé une demi-année en tout à l’école publique, en maternelle. Et que l’enseignante du garçon s’est défendue d’avoir été absente durant cette période.

Des syndicats d’enseignants ont accusé la ministre de l’Éducation de s’attaquer à l’école publique. Des députés de l’opposition ont dénoncé son « mépris ».

« Le débat de l’école publique-privée a, en France, une histoire assez compliquée, explique au téléphone Benjamin Morel, maître de conférences à l’Université Paris-Panthéon-Assas. Il y a toujours un peu ce sentiment de guerre des deux écoles. Mais il ne faut pas non plus surestimer cet aspect. »

Selon lui, malgré les dérives de certains établissements, il n’y a pas de volonté généralisée de remettre en cause le système public-privé. Mais les propos de la ministre « révèlent un certain nombre de problématiques, de soucis, qui arrivent tout d’un coup sur le devant de la scène », souligne-t-il.

Parmi eux, la pénurie d’enseignants. Le gouvernement d’Emmanuel Macron avait d’ailleurs donné le mandat au prédécesseur de Mme Oudéa-Castéra – Gabriel Attal, devenu premier ministre lors du remaniement – de revoir le système de recrutement dans les écoles.

Rémunération « considérable »

Ancien espoir du tennis féminin, Mme Oudéa-Castéra est également ministre des Sports et des Jeux olympiques depuis mai 2022. Elle a été auparavant directrice générale de la Fédération française du tennis pendant un peu plus d’un an.

Dans un rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les défaillances des fédérations sportives dévoilé cette semaine, sa rémunération d’alors a été jugée « considérable, voire anormale ». Mme Oudéa-Castéra a touché quelque 500 000 euros annuels bruts pour cet emploi.

Ce rapport s’est surtout penché sur les violences sexuelles et sexistes dans le sport français et la discrimination. Au passage, les députés qui ont mené les travaux ont notamment accusé l’État, à travers le ministère des Sports, d’être défaillant.

PHOTO STEPHANE DE SAKUTIN, ASSOCIATED PRESS

La ministre Amélie Oudéa-Castéra au côté du président français, Emmanuel Macron

Cité dans le quotidien Le Monde, l’« entourage » de Mme Oudéa-Castéra a dénoncé un rapport « militant » qui présente « une vision caricaturale du sport français ».

Un nouveau remaniement ?

On ignore si la ministre, au cœur de la tempête depuis sa nomination, restera en poste. Fidèle d’Emmanuel Macron, avec qui elle a étudié au début des années 2000, elle pilote le portefeuille des Jeux olympiques, à moins de six mois des JO de Paris.

De jour en jour, de nouveaux cailloux dans sa chaussure s’accumulent et à ce stade, on peut penser que ce n’est pas tenable.

Benjamin Morel, maître de conférences à l’Université Paris-Panthéon-Assas

Le nouveau premier ministre, Gabriel Attal, devrait dévoiler les noms des secrétaires d’État et des ministres délégués après son discours du 30 janvier, complétant ainsi son nouveau gouvernement – qui devait donner un nouveau souffle au quinquennat du président Emmanuel Macron.

« Je ne serais pas extrêmement étonné qu’on en profite pour faire également un remaniement au sein du ministère de l’Éducation nationale et qu’on aille choisir un nouveau ministre », dit M. Morel.

Il ne faut pas non plus oublier la place que pourraient continuer d’occuper le président et le premier ministre dans le domaine de l’éducation, note le politologue Guillaume Courty.

« S’il y a des ministres délégués, on peut se dire que soit le président a gardé l’éducation pour lui, comme il l’avait inscrite dans son domaine de compétences, soit c’est le premier ministre qui va le faire en duo avec le président, puisqu’il vient de ce département, avance-t-il. Et, donc, elle serait surtout chargée des JO, sauf s’ils mettent un ministre délégué qui soit un peu le porte-document du président et du premier ministre. »

Avec Le Monde et Libération