(Paris) Qui était à bord et que s’est-il passé exactement ? Les circonstances de l’écrasement d’un avion militaire russe près de la frontière ukrainienne mercredi, dont les images ont inondé les réseaux sociaux, soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses.

De quoi parle-t-on ?

Un avion de transport militaire russe Iliouchine Il-76 s’est écrasé mercredi près du village russe de Iablonovo, à 45 kilomètres de la frontière avec l’Ukraine, dans la région de Belgorod.

Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent un engin plongeant du ciel, avant de s’écraser, provoquant une impressionnante explosion à l’endroit de l’impact.

CAPTURE D’ÉCRAN D’UNE VIDÉO AUTHENTIFIÉE, FOURNIE PAR L’ASSOCIATED PRESS

Explosion causée par l’écrasement

« Nous ne savons pas grand-chose de l’IL-76 abattu », « Nous ne savons pas encore où se dirigeait cet avion ni d’où il venait », a déclaré Ivan Klyszcz, chercheur au Centre international pour la défense et la sécurité, basé en Estonie. « Il a été abattu au nord-est de Belgorod, mais c’est tout ce que nous savons ».

Que disent les Russes ?

Moscou a aussitôt accusé l’Ukraine d’avoir abattu l’un de ses avions. Selon les autorités russes, ses 74 occupants sont morts : 65 prisonniers ukrainiens qui allaient être échangés s’y trouvaient, avec un équipage de six personnes et trois militaires russes.

« On peut affirmer avec un haut degré de certitude que l’avion a été abattu par les forces armées ukrainiennes », estime l’expert militaire Michael Nacke, qui anime une chaîne YouTube très suivie et critique de l’invasion russe.

Un analyste militaire indépendant basé à Moscou s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, estime lui aussi que l’avion a « probablement » été abattu par l’Ukraine.  

« C’est une affaire étrange. Nous ne découvrirons peut-être jamais toute la vérité », a déclaré cet analyste à l’AFP.

Jeudi, la Russie a annoncé l’ouverture d’une enquête pour « terrorisme » sur l’incident.

Que disent les Ukrainiens ?

Les autorités ukrainiennes ont confirmé qu’un échange de prisonniers devait avoir lieu mercredi, mais pas que certains d’entre eux étaient à bord de l’appareil. Elles n’ont pas non plus revendiqué être à l’origine du écrasement.  

Le président Volodymyr Zelensky a demandé une enquête internationale et Kyiv a ouvert une enquête sur l’écrasement. Mais toute investigation ukrainienne semble difficile, l’appareil se trouvant en territoire russe.  

Citant des sources militaires, des médias ukrainiens ont avancé dans un premier temps que l’armée ukrainienne avait abattu l’avion, qui transportait des munitions pour des systèmes de missiles S-300. Mais ces allégations ont ensuite été retirées.

Quelques heures après l’écrasement, Kyiv a par ailleurs souligné sa volonté de continuer à frapper des cibles militaires en territoire russe.

Pour M. Nacke, l’absence de démenti officiel de l’Ukraine sur son éventuelle responsabilité dans cet incident est une « indication claire que les forces armées ukrainiennes ont touché l’avion », en utilisant soit un S-300, soit un missile Patriot PAC2.  

La Russie « profite déjà de l’écrasement de l’Il-76 pour attiser le mécontentement en Ukraine et saper la volonté occidentale de continuer à soutenir militairement l’Ukraine », a relevé mercredi l’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW).

Y avait-il des prisonniers à bord ?

Il demeure difficile de savoir si des prisonniers de guerre ukrainiens étaient ou non à bord, aucune image montrant les corps de victimes de l’écrasement n’ayant été publiée par les autorités.

L’expert Michael Nacke affirme avoir vu des photos de seulement deux corps sur le site de l’écrasement, ce qui « ne correspond pas au bilan » russe de 74 morts.

L’Ukraine accuse Moscou de ne pas l’avoir informée que les prisonniers de guerre seraient transportés par avion, conformément à la Convention de Genève. La Russie assure au contraire avoir prévenu Kyiv.  

Margarita Simonyan, rédactrice en chef de la chaîne d’État russe RT, a publié une liste des prisonniers de guerre ukrainiens qui se trouvaient selon elle à bord de l’avion. Mais plusieurs sources russes et ukrainiennes ont affirmé qu’au moins l’un d’entre eux avait déjà été libéré lors d’un échange précédent.  

« Les “preuves” présentées jusqu’à présent par la Russie ne sont pas convaincantes », estime le chercheur Ivan Klyszcz.  

Le porte-parole du renseignement militaire ukrainien, Andriy Yusov, a déclaré sur Radio Svoboda, un média financé par les États-Unis, que l’avion aurait pu transporter à la fois des missiles et des prisonniers ukrainiens, potentiellement utilisés comme « boucliers humains pour le transport de munitions ».  

Il n’a pas non plus exclu qu’il s’agisse d’une « provocation délibérée » de Moscou, affirmant que plusieurs hauts responsables russes avaient été avertis à la dernière minute de ne pas monter dans l’avion.  

Mais l’analyste basé à Moscou reste sceptique quant à cette hypothèse. « Ce n’est pas impossible […], mais j’en doute », a-t-il déclaré. Un Il-76 constitue une « ressource trop précieuse » pour Moscou en temps de guerre, et « les prisonniers susceptibles d’être échangés ne constituent pas une ressource aussi remplaçable », a-t-il souligné.