(Madrid) Le premier ministre espagnol Pedro Sánchez a essuyé mardi un revers cinglant au Parlement avec le rejet du projet de loi d’amnistie des indépendantistes catalans, nouvelle illustration de l’extrême fragilité de son gouvernement, reconduit il y a seulement deux mois et demi.

Paradoxalement, c’est le parti de l’indépendantiste Carles Puigdemont, Junts per Catalunya, qui a voté contre ce projet de loi hautement controversé, en estimant qu’il ne garantissait pas l’application de cette amnistie à son chef de file, principale figure de la tentative de sécession de la Catalogne en 2017.

Ce rejet en première lecture ne signifie pas l’abandon du texte, qui devra faire son retour en commission parlementaire où il pourra être modifié. Mais il illustre la pression permanente à laquelle Junts soumet l’exécutif, privé de majorité sans le soutien de ses sept députés.

Face à un résultat qui semblait inattendu jusqu’à lundi, le ministre de la justice, Félix Bolaños, a jugé « incompréhensible que Junts ait voté contre une loi qu’elle a négociée », et a demandé au parti catalan de « reconsidérer sa position ».

« Calvaire »

« L’humiliation est constante, chaque jour […], chaque vote est un calvaire », a raillé le chef de l’opposition de droite, Alberto Núñez Feijóo, qui a encore mobilisé dimanche 45 000 sympathisants dans le centre de Madrid contre cette amnistie, qui divise profondément la société espagnole.

Allié imprévisible, Junts a exigé mardi matin le vote par les socialistes de M. Sánchez d’amendements destinés à contrer l’offensive judiciaire de deux magistrats cherchant à empêcher l’application de cette mesure à Carles Puigdemont.

PHOTO RAYMOND ROIG, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Carles Puigdemont

Les socialistes ayant refusé, Junts a voté contre le projet de loi qui n’a recueilli que 171 voix favorables alors que la majorité requise était de 176 voix sur 350.

L’amnistie « doit être totale […] et ne laisser personne sur le bord de la route, personne », avait mis en garde la cheffe des députés de Junts, Miriam Nogueras, avant le vote.

Ce projet de loi d’amnistie était une condition exigée par les indépendantistes catalans en échange de leur soutien indispensable à la reconduction mi-novembre de M. Sánchez pour un nouveau mandat.

Si le Parlement finit par l’adopter à terme, ce texte doit permettre l’arrêt des poursuites judiciaires contre des centaines de militants et dirigeants séparatistes pour leur implication dans la tentative de sécession, dont M. Puigdemont, qui a fui en Belgique il y a plus de six ans afin d’échapper à ces poursuites.

« Terrorisme » et « trahison »

Junts exigeait concrètement que le texte garantisse l’application de cette amnistie aux personnes accusées de « terrorisme », sans exception possible, ou de « trahison », ce qui n’est pas le cas du projet actuel, M. Puigdemont étant menacé d’une inculpation pour de tels délits par deux magistrats.

Ces deux juges ont été accusés par la gauche d’avoir de claires arrières-pensées politiques pour avoir justement annoncé lundi, à la veille du vote, la prolongation de leur instruction pour six mois supplémentaires.  

La première de ces enquêtes concerne la mystérieuse organisation « Tsunami Démocratique », à l’origine du blocage de l’aéroport de Barcelone en octobre 2019 pour protester contre la condamnation de dirigeants indépendantistes à la prison.

Dans cette affaire, un magistrat du haut tribunal madrilène de l’Audience nationale estime que M. Puigdemont, soupçonné d’avoir dirigé cette organisation dans l’ombre, pourrait être accusé de « terrorisme ».

La semaine dernière, les socialistes avaient déjà été contraints d’accepter un amendement afin que l’amnistie bénéficie aussi aux personnes accusées de « terrorisme » mais à condition que les faits reprochés ne constituent pas « une violation grave des droits de la personne humaine ».

Déterminé à contourner cet amendement, ce juge a mis en avant, seulement deux jours plus tard dans son enquête, les blessures d’un policier en 2019, et donc une violation grave de ses droits.

Dans une deuxième affaire, un magistrat de Barcelone soupçonnant Carles Puigdemont d’avoir cherché à obtenir le soutien du Kremlin à une éventuelle indépendance de la Catalogne a assuré disposer de « données » confirmant les « relations personnelles étroites » entre des proches de l’indépendantiste et des personnes occupant à l’époque « des fonctions diplomatiques ou (ayant) des liens avec les services secrets russes ». Ce qui pourrait, dans ce cas, déboucher sur des poursuites pour « trahison ».