(Paris) Une centaine d’agriculteurs ont été interpellés mercredi en France où, comme dans de nombreux pays voisins, notamment l’Italie, la colère gronde dans le monde rural contre l’Union européenne, ce qui a contraint Bruxelles à lâcher du lest.

Après une intrusion en fin d’après-midi dans une « zone de stockage » du marché de Rungis, plus grand marché de produit frais du monde et point crucial d’approvisionnement de la capitale française, 79 personnes ont été interpellées. Cela s’ajoute aux 15 interpellations survenues un peu plus tôt pour « entrave à la circulation » près de Rungis, au sud de Paris.

Ces interpellations sont les premières d’un mouvement monté d’un cran depuis lundi en France, où des agriculteurs bloquent avec leurs tracteurs plusieurs autoroutes menant à Paris et provoquent une nouvelle crise sociale un an après la très contestée réforme des retraites.

PHOTO EMMANUEL DUNAND, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des gendarmes français attendent devant le marché de Rungis, au sud de Paris, le 31 janvier 2024.

Mercredi à la mi-journée, plus de 80 blocages, 4500 engins et 6000 manifestants étaient recensés dans le pays, selon une source policière. Réputé pour sa fermeté, le ministre de l’Intérieur français Gérald Darmanin se montre très compréhensif pour ce qu’il a qualifié de « coups de sang légitimes ».

Le mouvement de colère ne se limite pas à la France, avec des manifestations en Allemagne, en Pologne, en Roumanie ou en Belgique ces dernières semaines.

En Italie, des milliers d’agriculteurs, de la Sardaigne au Piémont, ont encore manifesté mercredi. « L’agriculture est en train de mourir », pouvait-on lire à Cuneo, ville du nord du pays traversée par une centaine de tracteurs klaxonnant.  

En Espagne, des rassemblements ont été signalés près de Léon et Zamora, dans le nord-ouest. Le ministre espagnol de l’Agriculture a annoncé qu’il recevrait vendredi les trois principaux syndicats agricoles, qui ont promis des « mobilisations » les « prochaines semaines ».

Des agriculteurs portugais ont aussi appelé à une mobilisation jeudi matin sur les routes du pays avec des tracteurs et machines agricoles.

Face à la grogne, la Commission européenne a fait des concessions mercredi sur deux sujets principaux : elle propose d’accorder pour 2024 une dérogation « partielle » aux obligations de jachères imposées par la PAC et envisage un mécanisme limitant les importations d’Ukraine, notamment de volaille.

PHOTO SEBASTIEN SALOM-GOMIS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des agriculteurs français participent à un barrage routier près du Pont de Chevire, dans la banlieue sud-ouest de Nantes, le 31 janvier 2024.

Effort « tardif »

Si Paris s’est félicité que Bruxelles ait « répondu aux demandes de la France », cette dérogation intervient « tardivement » et reste « limitée », a regretté le Copa-Cogeca, organisation des syndicats agricoles majoritaires dans l’UE.

Politique européenne trop complexe, revenus trop bas, inflation, concurrence étrangère notamment des produits ukrainiens, flambée des prix du carburant : les mêmes revendications se retrouvent dans la plupart des pays européens confrontés au mécontentement agricole.

« Nous devons dire que certains choix de l’UE sont erronés », a déclaré le ministre de l’Agriculture Francesco Lollobrigida. « Réduire la production alors que la consommation reste identique revient à acheter davantage de ceux qui ne respectent pas tes règles sur le droit du travail et l’environnement ».

La colère se cristallise autour de la politique agricole commune (PAC) des Vingt-Sept, jugée par certains déconnectée des réalités.

Mercosur

Un autre sujet de friction reste en revanche en suspens à Bruxelles : responsable de la politique commerciale des Vingt-Sept, la Commission négocie actuellement un accord de libre-échange avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) qui inquiète le secteur agricole et dont Paris déclare ne pas vouloir.

Ce traité avec d’importants pays agricoles « n’est pas bon pour nos éleveurs et peut pas, ne doit pas être signé en l’état », a déclaré mercredi le ministre de l’Économie français Bruno Le Maire, se disant prêt à un « bras de fer » avec la Commission.

Le président Emmanuel Macron, qui se refuse à « tout mettre sur le dos de l’Europe », doit s’entretenir jeudi avec la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, en marge d’un sommet européen.

Le patron du puissant syndicat agricole français FNSEA a toutefois appelé ses troupes « au calme et à la raison ». « L’attente est énorme » face au « cumul de normes et de règles », a déclaré Arnaud Rousseau. Mais « il y a aussi beaucoup de sujets européens qui ne sont pas des sujets qui se règlent en trois jours » .  

La nouvelle PAC, qui renforce depuis 2023 les obligations environnementales et les législations du Pacte vert européen (ou « Green Deal » ) – même si elles ne sont pas encore en vigueur – cristallise la colère. La France est la première bénéficiaire des subventions agricoles européennes, avec plus de 9 milliards d’euros par an.