(Paris) La détention en Thaïlande des membres du groupe de rock russo-biélorusse Bi-2 illustre le danger auquel s’exposent les voix critiques de Poutine, y compris à l’étranger.

Les sept rockers de ce groupe célèbre en Russie ont été détenus pendant plusieurs jours par les services d’immigration thaïlandais avant d’être libérés cette semaine et de partir pour Israël.

Ils ont échappé à l’expulsion vers la Russie, où leurs prises de position contre la guerre en Ukraine et contre Vladimir Poutine leur valent des accusations de « soutien au terrorisme » de la part de Moscou.

Le chanteur du groupe, Egor Bortnik, plus connu sous son nom de scène « Lyova », a accusé l’année dernière sur les réseaux sociaux le président russe de « détruire » le pays.

L’arrestation de Bi-2 avait eu lieu la semaine dernière à Phuket (sud de la Thaïlande), destination prisée des touristes russes, où le groupe donnait un concert. Motif officiel : un problème de visa de travail. Les musiciens avaient été transférés dans un centre de détention des services d’immigration à Bangkok.

Le groupe russophone comprend sept membres, dont certains possèdent la nationalité israélienne ou australienne en plus de la citoyenneté russe, selon Human Rights Watch. L’ONG dénonce la « répression transnationale » de la Russie, où les rockers, s’ils y avaient été déportés, auraient « vraisemblablement été persécutés ».

PHOTO SAKCHAI LALIT, ASSOCIATED PRESS

L’arrestation de Bi-2 avait eu lieu la semaine dernière à Phuket (sud de la Thaïlande), destination prisée des touristes russes, où le groupe donnait un concert. Motif officiel : un problème de visa de travail. Les musiciens avaient été transférés dans un centre de détention des services d’immigration à Bangkok.

« Pression très forte »

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie il y a bientôt deux ans, des centaines de milliers de Russes ont quitté leur pays. Parmi eux, des figures culturelles de premier plan.

« Aux yeux de l’État russe, ceux qui sont partis sont non seulement des traîtres et des ennemis, mais aussi un risque pour la stabilité politique de la Russie, un problème de sécurité nationale », explique Tatiana Stanovaya, politologue et fondatrice du centre de réflexion R. Politik.  

Selon l’opposant en exil Dmitry Goudkov, actif dans la libération des membres de Bi-2, Moscou a tenté de les faire expulser en Russie.

« La pression (sur Bangkok, NDLR) a été très forte. Nous sommes surpris », a déclaré M. Goudkov. Selon lui, Moscou est inquiet de la popularité des groupes de rock anti-guerre en Russie, considérée comme une menace à quelques semaines de l’élection présidentielle de mars, même si la réélection de Poutine ne fait guère de doute.

Des diplomates américains, allemands, israéliens et australiens ont été impliqués dans les négociations, affirme-t-il.

Le député nationaliste russe Andrei Lougovoï, poursuivi en Grande-Bretagne pour le meurtre de l’ancien agent russe Alexandre Litvinenko, a déclaré sur les réseaux sociaux que les musiciens de Bi-2 devaient « se préparer » à « faire des claquettes devant leurs collègues prisonniers » s’ils étaient expulsés en Russie, où la prison les attendait.

« Persécution maniaque »

L’épisode est loin d’être isolé. Le comédien russe Maxim Galkine a raconté la semaine dernière sur Instagram qu’il s’était vu interdire l’entrée en Indonésie pour un spectacle sur l’île touristique de Bali. Galkin, mari de la vedette de la pop russe Alla Pougatcheva, a expliqué que les autorités indonésiennes lui avaient montré une lettre du gouvernement russe.

Les spectacles de Galkin en Thaïlande ont aussi été annulés en janvier sous pression de Moscou, a-t-il affirmé, dénonçant « la persécution maniaque contre les artistes dissidents à l’étranger ».

Le rappeur russe Alisher Morgenshtern a pour sa part affirmé s’être vu récemment interdire d’entrer aux Émirats arabes unis, sans raison officielle.

Galkin, Morgenshtern et Bortnik sont tous les trois inscrits sur la liste des « agents de l’étranger » en Russie.

VPI Event, l’organisateur des concerts de Bi-2 en Thaïlande, a dénoncé une « campagne » contre le groupe en Asie, qui a démarré en décembre « sous la pression » de diplomates russes. Les spectacles d’un autre comédien de stand-up, Rouslan Bely, ont aussi été annulés, selon VPI Event.

« Force toxique »

Pour la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova, les difficultés auxquelles sont confrontés les anti-Kremlin à l’étranger sont normales, car ce sont « des personnes qui soutiennent le terrorisme ».

La campagne de Moscou contre ses dissidents passe aussi par l’inscription de personnalités, comme le l’écrivain renommé Boris Akounine, sur la liste des « terroristes ».

Des figures de la scène culturelle russe en exil sont régulièrement visées par des trolls liés aux services de sécurité de Moscou.

Mercredi, la chambre basse du Parlement russe a approuvé une loi autorisant la confiscation des biens de toute personne reconnue coupable d’avoir diffusé de « fausses informations » sur l’armée.

Les autorités russes testent de nouveaux « moyens de pression », selon l’avocat Sergeï Zhorin, représentant les intérêts du rappeur Morgenshtern et d’autres artistes.

C’est « une diplomatie de la peur », observe le politologue Sergeï Medvedev. « La Russie cherche à apparaître comme une force toxique et omniprésente qui peut atteindre ses opposants partout dans le monde ».