(Paris) Moins d’un mois après sa naissance, le gouvernement de Gabriel Attal est déjà fragilisé par les divergences politiques exprimées par François Bayrou, l’allié historique d’Emmanuel Macron qui prend ses distances de manière inédite avec le président et égratigne le premier ministre.

« Dérive », « technocratie gestionnaire », « crise », absence d’« accord profond » : depuis mercredi soir, le président du MoDem multiplie les mots tonitruants à l’encontre du duo exécutif. Après 48 heures d’intenses tractations, il marque ainsi son refus d’entrer au gouvernement au moment où sa composition complète doit être annoncée.

« Il y a beaucoup d’incompréhension à l’Élysée et à Matignon. On ne s’y attendait pas », reconnaît un conseiller de l’exécutif, assurant qu’une « place lui était réservée » après sa relaxe judiciaire prononcée lundi.

Pour Benjamin Morel, maître de conférences en droit public, « ça fragilise le gouvernement parce que les lignes de fracture au sein de la majorité vont se creuser ». Même si le MoDem reste à ce stade au gouvernement, il donne le sentiment d’avoir « très envie d’en sortir », au risque de saper « l’autorité » du premier ministre, dit-il à l’AFP.  

François Bayrou avait d’emblée mis en doute « l’expérience » du plus jeune chef du gouvernement de l’histoire de la République, et critiqué la droitisation de l’exécutif. Désormais, il critique la vision « technocratique » de Gabriel Attal, notamment sur l’éducation, censée être son chantier prioritaire et où il se vante d’avoir forgé sa « méthode ».

Procès en déconnexion

À quatre mois des élections européennes où le Rassemblement national est donné favori dans les sondages, le leader centriste met un grain de sable dans l’enthousiasme qui entourait jusqu’ici, en interne, les premiers pas du premier ministre.  

Pire, celui qui reste haut-commissaire au Plan accuse Emmanuel Macron de n’avoir pas tenu la promesse de « gouverner autrement », et dresse en creux un procès en déconnexion entre « la France qui décide en haut » et celle « qui se bat en bas ». Comme un slogan en vue d’une possible candidature à l’Élysée en 2027.

« François Bayrou fait comme Édouard Philippe, il veut se démarquer pour la présidentielle ! », résume un soutien du chef de l’État.

Après son ex-premier ministre, autoproclamé « loyal, mais libre », voilà donc le président aux prises avec son principal allié mué en frondeur.

« Cela dit beaucoup du second mandat d’Emmanuel Macron qui est très affaibli par le fait que son camp n’a pas de majorité absolue et surtout qu’il n’a plus la capacité de se représenter » en raison des limites constitutionnelles, estime le politologue Pascal Perrineau. « Son pouvoir est sans cesse contesté à l’extérieur, on le voit dans l’opinion publique » avec une cote de popularité au plus bas, « mais aussi à l’intérieur de son camp où chacun y va de sa stratégie de différenciation pour préparer l’après ».

Pour autant, la Macronie faisait tout jeudi pour minimiser les dégâts. Un conseiller ministériel raille « une petite crise d’ego » de François Bayrou, qui aurait « un peu craqué » et ferait « cavalier seul ».

« Théâtre d’ombres »

Et tous d’invoquer le communiqué du député Jean-Louis Bourlanges, personnalité influente du MoDem, qui a critiqué la démarche de son patron. « Ils n’ont pas l’air d’être tous d’accord », ironise un proche du chef de l’État, faisant mine de vouloir laisser « s’exprimer » les différentes « sensibilités ».

François Bayrou est pourtant bien plus qu’une « sensibilité ».

Le maire de Pau avait mis ses ambitions présidentielles entre parenthèses en 2017 pour soutenir Emmanuel Macron, apportant un surcroît de crédibilité au jeune candidat dont il partageait la volonté d’imposer un « bloc central » dépassant le clivage droite-gauche. Depuis, même dans les moments difficiles, le président a toujours veillé à « traiter » son aîné béarnais.

« On sait bien ce qu’on doit à Bayrou », glisse un macroniste de la première heure, en citant ce ralliement initial et « le poids du groupe MoDem à l’Assemblée nationale », où chaque député compte.

« Le pays va suffisamment mal pour qu’on n’ait pas en plus ce théâtre d’ombres que les Français vomissent », souffle un autre cadre du camp présidentiel, « complètement sidéré » par la séquence.

Mais le même se dit « d’accord » sur l’existence d’une « forme d’élitisme perçu par la population », et reproche aussi à Emmanuel Macron et Gabriel Attal un remaniement qui traîne en longueur depuis près d’un mois, ouvrant la porte à ce psychodrame.