(Paris) Affaiblie sur terre face à la Russie, l’Ukraine multiplie les coups d’éclat en mer Noire avec la destruction d’un nombre important de navires russes. Insuffisants pour changer le cours de la guerre, ces succès n’en restent pas moins précieux, notamment au moment où le soutien occidental chancelle.

Actuellement, tout bateau russe coulé ou endommagé est « une victoire au plan informationnel » qui permet à Kyiv « d’éclipser pour un temps les difficultés » sur la ligne de front terrestre, explique à l’AFP Igor Denaloë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe, basé à Moscou.

« Cela permet aussi de présenter quelques résultats aux bienfaiteurs et bailleurs occidentaux pour leur montrer que cela vaut encore la peine d’investir dans la défense ukrainienne », ajoute-t-il.

Mercredi, l’état-major ukrainien a annoncé avoir détruit au large des côtes de Crimée le navire de débarquement russe Caesar Kunikov avec des drones navals, des déclarations que l’AFP n’a pas été en mesure de vérifier de manière indépendante.

Le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a confirmé jeudi que les Ukrainiens avaient « frappé hier avec succès un navire russe, ce qui démontre », a-t-il ajouté, « les compétences des forces armées ukrainiennes ». Mercredi, il avait déjà signalé les « lourdes pertes » infligées à la marine russe en mer Noire, évoquant « un grand succès » pour l’Ukraine.

Sur les réseaux sociaux, les services ukrainiens ont diffusé une vidéo en noir et blanc montrant, selon eux, l’attaque du bâtiment par plusieurs drones. On peut notamment y voir une explosion, puis un imposant champignon de fumée au-dessus d’un navire de guerre.

Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, n’a pas voulu commenter les affirmations ukrainiennes, et le ministère russe de la Défense est resté aussi silencieux sur l’incident, soulignant toutefois avoir abattu six drones ukrainiens « au-dessus des eaux de la mer Noire ».

La destruction du Caesar Kunikov s’ajouterait au tableau de chasse déjà bien garni des Ukrainiens en mer Noire, avec notamment l’attaque du croiseur Moskva, navire amiral de la flotte russe coulé au printemps 2022, ou encore celle du Novocherkassk, autre grand navire de débarquement frappé fin 2023 alors qu’il stationnait en Crimée.

« Dynamique assez défavorable »

Ce type d’attaque « n’a pas d’impact sur le rapport de force à terre, qui est caractérisé par une dynamique générale assez défavorable à l’Ukraine », mais « cela valide la stratégie d’affrontement asymétrique ukrainienne en mer Noire », pointe Igor Delanoë.

De fait, depuis le début du conflit, l’Ukraine n’a jamais lutté à armes égales avec la Russie dans le combat naval.

L’Ukraine a perdu « une grande partie de sa Marine lors de l’occupation de la Crimée (par la Russie en 2014, NDLR). C’est pourquoi ils ont mis en œuvre une stratégie de déni d’accès et interdiction de zone depuis le début de la guerre », usant pour cela de missiles fournis par les Occidentaux, de mines sous-marines, mais aussi et surtout de drones navals développés par les Ukrainiens pour servir lors d’attaques kamikazes, explique à l’AFP  Tayfun Ozberk, analyste naval et ancien officier de la marine turque.

Les drones, « améliorés » et à la portée « augmentée », sont désormais « capables de frapper des navires russes presque partout en mer Noire », y compris dans des ports russes éloignés des côtes ukrainiennes, ajoute cet expert, pour qui les pertes russes, sans impact majeur sur le combat terrestre, ont un coût « psychologique » pour Moscou.

Ces opérations permettent surtout à Kyiv de présenter quelques victoires, quand le camp occidental semble divisé dans son soutien à l’Ukraine. En témoigne l’incapacité du Congrès américain à débloquer une nouvelle aide, dans le contexte d’un possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, qui fait peser une responsabilité accrue sur les Européens.

« Échec extraordinaire »

Au début de son invasion de l’Ukraine, la Russie avait notamment cherché à utiliser sa puissance navale en mer Noire, lançant des missiles contre des cibles terrestres et menaçant le littoral ukrainien d’une invasion amphibie, pour étrangler le commerce maritime vital pour l’Ukraine.

Mais la Russie n’arrive désormais plus à « empêcher le commerce ukrainien », comme en attestent « les expéditions de céréales revenues à leur niveau d’avant l’invasion », pointe Phillips O’Brien. « C’est un échec extraordinaire pour les Russes que de perdre la capacité de contrôler le commerce ukrainien », affirme ce professeur d’études stratégiques à l’Université St Andrews en Écosse.

« Quant au plan défensif, les zones où ils peuvent opérer en toute sécurité sont restreintes. Les occasions de bombarder l’Ukraine avec des missiles sont moins nombreuses. Ils ont perdu des navires de débarquement qui sont importants d’un point de vue logistique […] rendant l’approvisionnement de la Crimée plus difficile », souligne-t-il.

À plus long terme, « cela pourrait affecter la perception russe de la Crimée comme un territoire crucial qui ne peut être perdu », constate  Dumitru Minzarari, chercheur au Baltic Defence College, basé en Estonie, l’un des objectifs de Kyiv étant selon lui notamment d’« essayer d’ébranler la détermination de la Russie »