(Berlin et Kyiv) L’armée ukrainienne a été contrainte d’abandonner samedi la ville d’Avdiïvka, dans l’est du pays, concédant à la Russie sa plus grande victoire symbolique après l’échec de la contre-offensive lancée par Kyiv l’été dernier.

« Conformément à l’ordre reçu, (nous nous) sommes retirés d’Avdiïvka pour aller sur des positions préparées d’avance », a annoncé le général ukrainien Oleksandre Tarnavsky, qui commande cette zone, dans un message publié sur le réseau social Telegram la nuit de vendredi à samedi.

Confrontée à un manque de moyens croissant en raison notamment du blocage de l’aide militaire américaine, l’Ukraine pouvait difficilement éviter ce retrait face à la Russie qui, forte de plus de soldats et de munitions, poussait ses troupes pour obtenir une conquête à quelques jours du deuxième anniversaire du début de l’invasion, le 24 février.

« Dans la situation où l’ennemi avance en marchant sur les cadavres de ses propres soldats et a dix fois plus d’obus […] c’est la seule bonne décision », a poursuivi le général Tarnavsky. Les forces ukrainiennes ont ainsi évité l’encerclement, près de cette cité industrielle largement détruite, a-t-il assuré.

ILLUSTRATION SYLVIE HUSSON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Carte de la ligne de front autour de la ville d’Avdiïvka, en Ukraine

Il s’agit d’une première grande décision du nouveau commandant en chef des armées ukrainiennes Oleksandre Syrsky après sa nomination à ce poste le 8 février. Il l’a justifiée par la volonté de « préserver » les vies de ses soldats.

« Avec dignité »

« J’ai décidé de retirer nos unités de la ville et de passer à la défense sur des lignes plus favorables », a écrit auparavant Oleksandre Syrsky sur Facebook. « Nos soldats ont accompli leur devoir militaire avec dignité, ils ont fait tout leur possible pour détruire les meilleures unités militaires russes et infligé des pertes significatives à l’ennemi », a poursuivi le général Syrsky.

Avant d’officialiser l’abandon de la ville, le général Tarnavsky avait reconnu que « plusieurs soldats » ukrainiens avaient été « capturés » par les forces russes, qui sont « en surnombre en termes d’effectifs, d’artillerie et d’aviation ».

Avdiïvka, qui compte environ 34 000 habitants avant l’invasion russe lancée en février 2022, a une valeur symbolique importante.

La ville est aujourd’hui en grande partie détruite mais quelque 900 civils y demeurent, selon les autorités locales. Moscou espère que sa prise rendra plus difficiles les bombardements ukrainiens sur Donetsk.

La ville était brièvement tombée en juillet 2014 aux mains de séparatistes prorusses pilotés par Moscou, avant de revenir sous contrôle ukrainien et de le rester malgré l’invasion et sa proximité avec Donetsk, capitale séparatiste dans l’est de l’Ukraine depuis dix ans.

Selon Kyiv, l’armée russe multipliait les vagues d’assaut depuis octobre pour prendre Avdiïvka, malgré des pertes humaines très élevées, une situation rappelant la bataille de Bakhmout, une ville que Moscou a conquise en mai 2023 après 10 mois de combats au prix de dizaines de milliers de morts et de blessés.

Après l’échec de la contre-offensive estivale ukrainienne, ce sont les Russes qui sont passés à l’assaut, face à une armée ukrainienne qui peine à regarnir ses rangs et qui manque de munitions.

La prise d’Avdiïvka survient au moment où le président ukrainien Volodymyr Zelensky mène une tournée européenne. Il avait indiqué depuis Berlin être en contact permanent avec le commandement militaire dont la principale tâche était selon lui de préserver la vie des soldats et « minimiser les pertes ».

Dans ce contexte tendu, M. Zelensky a signé vendredi à Berlin avec le chancelier allemand Olaf Scholz puis à Paris avec le président français Emmanuel Macron deux accords de sécurité bilatéraux. Il prévoit de participer samedi à la Conférence de sécurité à Munich et d’y rencontrer la vice-présidente américaine Kamala Harris.

Angoisse des civils

Avdiïvka est aujourd’hui en grande partie détruite mais quelque 900 civils y demeurent, selon les autorités locales. Moscou espère que sa prise rendra plus difficiles les bombardements ukrainiens sur Donetsk.

La poussée russe sur cette cité interroge désormais les habitants de localités environnantes : faut-il fuir maintenant ou continuer d’espérer que tout ira bien ?

« J’entends beaucoup de gens dans la ville se demander s’ils vont évacuer ou non », a dit à l’AFP Olena Obodets, qui vit à Selydové, une localité située à une trentaine de kilomètres d’Avdiïvka et lourdement frappée ces derniers jours.

« Ma fille me demande tous les jours d’évacuer mais je lui dis à chaque fois que le moment n’est pas encore venu », a confié cette femme de 42 ans, s’exprimant devant l’hôpital endommagé par un bombardement, au son du bruit sourd de lointains tirs d’artillerie.

Des journalistes de l’AFP ont vu plusieurs habitants de Selydové porter des sacs de voyage et des voitures remplies en train de quitter cette cité ainsi que trois hélicoptères militaires volant à basse altitude à l’extérieur de son périmètre.

Désormais, l’Ukraine est face à de multiples défis : l’offensive des forces russes, l’aide militaire américaine bloquée, le manque d’hommes, d’armes et de munitions.

Dans ce contexte tendu, M. Zelensky a signé vendredi à Berlin avec Olaf Scholz puis à Paris avec Emmanuel Macron deux accords de sécurité bilatéraux. Il prévoit de participer samedi à la Conférence de sécurité à Munich et d’y rencontrer la vice-présidente américaine Kamala Harris.

Dans cette ville allemande, Mme Harris a souligné vendredi qu’un échec concernant le déblocage de la nouvelle enveloppe d’aide à l’Ukraine au Congrès américain reviendrait à « faire un cadeau » à Vladimir Poutine.

La France et l’Allemagne signent des accords de sécurité avec l’Ukraine

Volodymyr Zelensky a signé vendredi soir à Paris un accord de sécurité avec Emmanuel Macron, qui a promis « jusqu’à trois milliards d’euros » d’aide militaire supplémentaire pour 2024 à l’Ukraine, en plus des sept milliards de soutien déjà annoncés par Berlin.

Après le chancelier allemand Olaf Scholz dans la journée, le président français a ainsi à son tour gravé dans le marbre d’un texte bilatéral le soutien civil et militaire dans la durée à Kyiv. Autant de soutiens très attendus alors que l’armée ukrainienne est à la peine face aux Russes et l’aide américaine gelée.

Dans ce texte conclu pour « une durée de dix ans », la France s’engage à fournir en 2024 « jusqu’à trois milliards d’euros » d’aide militaire « supplémentaire » à Kyiv, après un soutien qu’elle chiffre à 1,7 milliard en 2022 et 2,1 milliards en 2023. Paris évoque notamment un renforcement de la « coopération dans le domaine de l’artillerie ».

L’accord prévoit « la fourniture d’une assistance globale à l’Ukraine » pour « le rétablissement de son intégrité territoriale dans ses frontières internationalement reconnues », « la dissuasion active et les mesures à prendre face à toute nouvelle agression » de la Russie, ainsi qu’un « soutien » à l’adhésion de Kyiv à l’Union européenne et à « l’interopérabilité avec l’OTAN ».

« La France confirme que la future adhésion de l’Ukraine à l’OTAN constituerait une contribution utile à la paix et à la stabilité en Europe », stipule aussi ce nouveau pacte.

La tournée européenne de Volodymyr Zelensky a été assombrie par l’annonce de la mort en prison d’Alexeï Navalny, opposant numéro un à Vladimir Poutine, qui dirige déjà d’une main de fer la Russie, exacerbant les tensions avec l’Occident et éteignant un peu plus tout espoir d’ouverture à Moscou.

Le maître du Kremlin devra « rendre des comptes pour ses crimes », a accusé Volodymyr Zelensky. La Russie condamne à mort « les esprits libres » en les mettant au « goulag », a lancé Emmanuel Macron. Il a « payé son courage de sa vie », a renchéri le chancelier allemand Olaf Scholz.

Le président ukrainien, en visite chez ses alliés européens alors que son pays s’apprête à entrer dans sa troisième année de guerre face à la Russie, le 24 février, s’était auparavant arrêté vendredi à Berlin.

Olaf Scholz et Volodymyr Zelensky ont aussi signé un accord de sécurité qualifié d’« historique » par le chancelier allemand qui a assuré sa détermination à soutenir l’Ukraine « aussi longtemps que nécessaire » contre l’agresseur russe.

« Sans précédent »

« Deux ans après le début de cette guerre épouvantable, nous envoyons aujourd’hui un message très clair au président russe : nous ne relâcherons pas notre soutien à l’Ukraine », a averti le dirigeant allemand.

Illustration de cet engagement : le document signé contient une aide militaire supplémentaire et immédiate d’un montant de 1,1 milliard d’euros, qui est une tranche des sept milliards de soutien déjà annoncés par l’Allemagne pour 2024.

Il prévoit également de soutenir l’Ukraine après la guerre pour qu’elle se dote d’une armée moderne capable de repousser d’éventuelles futures attaques de la Russie.

« Notre accord de sécurité est un document bilatéral vraiment sans précédent », a souligné le président ukrainien à Berlin.

Cette échappée diplomatique est cruciale pour M. Zelensky au moment où la situation s’est considérablement dégradée sur le front ukrainien.

Dans l’est du pays, Avdiïvka est l’épicentre de « combats acharnés » et menace désormais de tomber après des mois d’assauts russes. L’armée ukrainienne a annoncé vendredi s’être retirée d’une position qu’elle tenait au sud de cette ville face à la multiplication des assauts russes.