(Moscou) La mère d’Alexeï Navalny a annoncé jeudi avoir enfin vu le corps de son fils que le pouvoir russe veut, selon elle, désormais faire enterrer loin des regards, tandis que Joe Biden a rencontré à San Francisco la veuve et la fille de l’adversaire numéro un de Vladimir Poutine.

En Californie, le président américain a fait part à Ioulia Navalnaïa et à sa fille Dacha, étudiante à l’université de Stanford, de « son admiration pour l’extraordinaire courage » de l’opposant ainsi que pour « son combat contre la corruption et pour une Russie libre et démocratique », a fait savoir dans un communiqué la Maison-Blanche.  

Cette dernière a parallèlement appelé, par la voix d’un de ses porte-parole, John Kirby, les Russes à « rendre son fils » à sa mère Lioudmila Navalnaïa, qui a accusé les autorités d’exercer un « chantage » contre elle pour inhumer sa dépouille en secret.

Dans les années 2010, avant que la machine répressive ne s’abatte complètement sur lui, Alexeï Navalny parvenait à mobiliser des foules, en particulier à Moscou, et, malgré la répression qui a décimé l’opposition, des funérailles publiques pourraient mobiliser ses sympathisants.    

« Ils veulent que tout soit fait secrètement, sans cérémonie, ils veulent m’emmener aux confins d’un cimetière, près d’une tombe fraîche, et me dire “ci-gît ton fils”. Je ne suis pas d’accord avec cela », a déclaré Lioudmila Navalnaïa, dans une vidéo diffusée jeudi.

« Chantage »

Celle-ci a raconté avoir été conduite à la morgue et pu voir le corps d’Alexeï Navalny, affirmant que les enquêteurs ont déjà établi la cause du décès et que « tous les documents juridiques et médicaux sont prêts ».

PHOTO LUDOVIC MARIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une photo d’Alexeï Navalny

Lioudmila Navalnaïa a dit se trouver à Salekhard, la capitale du district de Iamalo-Nénétsie, une région du Grand Nord où est mort en détention son fils le 16 février.

Selon l’équipe de l’opposant, la cause du décès est inscrite comme étant « naturelle ».

« Légalement, ils auraient dû me rendre immédiatement le corps d’Alexeï mais ils ne l’ont pas fait. Au lieu de ça, ils me font du chantage », a dénoncé la mère l’opposant.  

« J’enregistre cette vidéo parce qu’ils ont commencé à me menacer. En me regardant dans les yeux, ils disent que si je refuse des funérailles secrètes, ils feront quelque chose de son corps. L’enquêteur […] m’a dit ouvertement “Le temps joue contre vous, le cadavre se décompose” », a-t-elle poursuivi.

Selon elle, les pressions pourraient provenir du Kremlin ou du Comité d’enquête de Russie, le puissant organe chargé des principales investigations.

« Je veux que pour vous, ceux pour qui Alexeï était un être cher, pour qui sa mort a été une tragédie personnelle, il y ait une possibilité de lui dire adieu », a lancé la mère de l’opposant.  

Pas d’évènement politique

Pour la politologue russe Tatiana Stanovaïa, les autorités veulent à tout prix éviter que des obsèques ne puissent se transformer en catalyseur pour les Russes qui sont opposés au Kremlin et qui ne peuvent pas l’exprimer publiquement sous peine d’arrestation ou de poursuites.  

« Une décision a été prise de convaincre la mère de Navalny de passer un deal. Ils rendront le corps mais à condition que les funérailles ne deviennent pas un évènement politique », a-t-elle écrit sur son compte Telegram.  

La police russe a, dans la foulée de la mort de l’opposant, arrêté des centaines de personnes allées lui rendre hommage en déposant des fleurs sur des monuments à la mémoire des victimes des répressions soviétiques.  

Depuis samedi, Lioudmila Navalnaïa cherchait à avoir accès au corps de son fils, les enquêteurs assurant que des « expertises » étaient nécessaires. Elle s’était même adressée au président Vladimir Poutine pour obtenir gain de cause.

L’équipe d’Alexeï Navalny, mort après trois ans d’emprisonnement dans des conditions de plus en plus éprouvantes, accuse le Kremlin de l’avoir fait tuer et de chercher à dissimuler toutes les traces à ce sujet.

Européens et Américains ont, pour leur part, estimé que Vladimir Poutine et son gouvernement étaient responsables de sa mort, des accusations qualifiées par Moscou de « grossières et infondées », tandis que le président russe n’a pas fait de commentaires publics sur cette affaire.

L’Occident « agit comme s’il était à la fois procureur, juge et bourreau. L’hystérie s’agissant de la mort de Navalny le prouve […], ces gens n’ont aucun droit de s’ingérer dans nos affaires intérieures », a encore dit jeudi, au Brésil, en marge d’une réunion du G20, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov.