(Berlin) L’Allemagne a accusé dimanche Vladimir Poutine de chercher à la « déstabiliser » par une guerre de l’information avec l’espionnage d’échanges militaires confidentiels sur l’Ukraine, au moment où le chancelier est sous pression pour livrer des missiles à Kyiv.

La diffusion vendredi sur les réseaux sociaux depuis la Russie de l’enregistrement audio d’une visioconférence récente entre officiers allemands de haut rang au sujet des livraisons d’armes à l’Ukraine a provoqué une crise entre les deux pays et un choc à Berlin.

Le chef de l’État russe cherche « à nous déstabiliser, nous insécuriser », a affirmé le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius.

Cela « fait partie d’une guerre de l’information que Poutine mène », a-t-il ajouté, « il s’agit clairement de saper notre unité […], de semer la division politique sur le plan intérieur et j’espère sincèrement que Poutine n’y parviendra pas ».

Dans l’écoute illégale, les officiers allemands parlent notamment de l’hypothèse de la livraison à Kyiv de missiles de longue portée Taurus, de fabrication allemande, de ce qui serait nécessaire pour permettre aux forces ukrainiennes de les utiliser et de leur impact éventuel.

Embarras à Berlin

Dès samedi, Berlin a confirmé que l’enregistrement était authentique et qu’il avait été « intercepté ».

À Moscou, le numéro deux du Conseil de sécurité russe Dmitri Medvedev a accusé dimanche sur Telegram l’Allemagne de « préparer la guerre contre la Russie ».

Le contenu de la conversation est embarrassant pour l’Allemagne à plusieurs titres.

D’abord Berlin refuse officiellement jusqu’ici de livrer des missiles Taurus à Kyiv, arguant d’un risque d’escalade de la guerre, car cela entraînerait de l’avis du chancelier Olaf Scholz l’implication de soldats allemands pour aider au maniement des armes.

Or, non seulement les officiers allemands espionnés estiment dans leurs échanges que cela ne nécessiterait pas forcément la participation de soldats de la Bundeswehr.

Une manière de rejeter l’argumentaire du chancelier, qui se retrouve en position inconfortable.

Détails sur Londres et Paris

Tout aussi embarrassant pour Berlin, on entend au cours de la conversation les officiers révéler des détails sur la manière dont le Royaume-Uni et la France aident l’armée ukrainienne à utiliser les missiles de longue portée Scalp que les deux pays livrent à Kyiv.

Olaf Scholz a déjà récemment créé l’irritation à Londres en affirmant que la Grande-Bretagne et la France devaient fournir un appui aux Ukrainiens pour cibler les frappes des missiles Scalp.

De l’avis de l’experte Défense du parti libéral FDP, membre de la coalition gouvernementale, Marie-Agnes Strack-Zimmermann, l’intention de Moscou « est évidente » : « intimider » Olaf Scholz pour qu’il ne revienne pas sur son refus de livraison des Taurus.

Avec son parti, elle tente justement depuis des mois de faire pression sur le chancelier pour qu’il accepte de les fournir à Kyiv, au moment où les forces ukrainiennes sont sur la défensive face aux troupes russes et manquent cruellement de munitions.

Avec cette affaire, l’armée allemande se retrouve en outre face aux critiques, accusée d’amateurisme et de légèreté dans ses mesures de sécurité.

Selon le magazine Der Spiegel, la visioconférence a eu lieu via la plateforme publique WebEx et non un réseau interne ultra-sécurisé de la Luftwaffe. Et l’un des officiers se trouvait dans un hôtel de Singapour, dont la chambre pourrait avoir été piégée avec des micros, selon certains médias.

Le contre-espionnage militaire va devoir déterminer si « la bonne plateforme a été choisie » pour la conversation, a reconnu M. Pistorius.

Il a précisé qu’il n’était pas au courant d’autres fuites, mais qu’il attendrait le résultat d’une enquête la semaine prochaine avant de tirer des enseignements.

L’affaire fragilise enfin le chancelier Olaf Scholz, qui tentait depuis plusieurs semaines de s’afficher en fer de lance de l’augmentation des livraisons d’armes européennes à l’Ukraine, suite au blocage de l’aide américaine au Congrès.

Berlin est le pays qui aujourd’hui apporte la deuxième aide à Kyiv, après les États-Unis.