(Kyiv, Ukraine) Lorsqu’Avdïivka, bastion de l’est de l’Ukraine, est tombée aux mains des forces russes il y a trois semaines, Kyiv et ses alliés ont craint que les troupes de Moscou ne profitent de leur élan pour avancer rapidement vers les centres militaires stratégiques et les centres de population.

Mais après avoir progressé rapidement les jours suivants, les assauts russes se sont arrêtés autour de trois villages voisins contestés. Les experts militaires citent plusieurs facteurs, notamment un terrain qui ne favorise pas les opérations offensives, des troupes russes épuisées par des mois de combat et une armée ukrainienne qui a engagé des forces importantes pour défendre la zone.

La Russie semble maintenir son initiative sur le champ de bataille, et les analystes militaires estiment que ses forces pourraient encore percer les lignes ukrainiennes dans un avenir proche, d’autant que les efforts défensifs de Kyiv sont de plus en plus limités par l’absence de nouvelle aide militaire américaine.

Cependant, pour l’instant, affirment-ils, les combats semblent revenus au type de batailles peu concluantes qui ont caractérisé la plupart des combats sur la ligne de front au cours de l’année écoulée.

PHOTO LYNSEY ADDARIO, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des soldats ukrainiens du 25e bataillon qui ont combattu à Avdïivka s’entraînent dans l’est de l’Ukraine, le 23 février.

« La prise d’Avdïivka n’a pas entraîné l’effondrement des lignes ukrainiennes, la possibilité pour les Russes de se déplacer en terrain découvert ou même de faire des gains importants », explique Thibault Fouillet, directeur scientifique de l’Institut d’études stratégiques et de défense, à Lyon. « Il n’y a pas d’action décisive ou de percée. »

Forces décimées

Cette situation contraste avec celle qui a suivi la chute d’Avdïivka à la mi-février. Alors que les forces ukrainiennes battaient en retraite, la Russie avançait rapidement, aidée en partie par l’absence de positions défensives ukrainiennes solides. Les troupes russes se sont emparées de trois localités et ont pris le contrôle de près de 25 km2 de terrain, selon des cartes du champ de bataille accessibles à tous.

Toutefois, au cours des dix derniers jours, Moscou n’a capturé qu’un peu plus de 2,5 km2 de terrain, selon ces mêmes cartes. Ses soldats ont été pris dans des combats dans et autour des villages de Berdychi, Orlivka et Tonenke.

Les forces russes « semblent tenter de progresser à l’aide de petits groupes d’assaut d’infanterie, mais elles sont décimées sur le terrain relativement dégagé à l’ouest d’Avdïivka », estime Pasi Paroinen, analyste au sein du Black Bird Group, une communauté de sources ouvertes établie en Finlande qui évalue l’imagerie satellite et le contenu des réseaux sociaux sur le champ de bataille.

Les récents combats ont également coûté cher à l’armée ukrainienne, qui semble avoir engagé certaines de ses meilleures troupes et armes dans la zone située à l’ouest d’Avdïivka.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Sa 47e brigade, que les États-Unis ont entraînée et équipée l’année dernière, défend Berdychi. Une vidéo publiée par le ministère de la Défense ukrainien montrerait la brigade utilisant un char Abrams de construction américaine, l’un des plus avancés des États-Unis.

L’armée ukrainienne « affecte toutes les armes possibles » aux combats à l’extérieur d’Avdïivka, explique Serhii Kuzan, président du Centre ukrainien de sécurité et de coopération, un groupe de recherche non gouvernemental.

Cependant, trois chars Abrams ukrainiens ont été détruits ou endommagés et abandonnés sur place au cours des deux dernières semaines, selon Oryx, site web d’analyse militaire qui compte les pertes sur la base de preuves visuelles.

Les forces ukrainiennes ont également subi de lourdes pertes lorsqu’elles ont repoussé les assauts russes sur Avdïivka pendant des mois.

Terrain favorable aux Ukrainiens

Les experts militaires estiment que la poursuite de la défense de l’Ukraine dans cette zone vise probablement à donner à ses unités le temps de préparer et de renforcer de nouvelles lignes défensives vers l’ouest. L’armée ukrainienne a récemment publié des photos de fortifications qu’elle dit être en train de construire près de la zone de combat d’Avdïivka, notamment des tranchées de 2 mètres de profond et des fossés antichars.

« Vous avez une place forte qui est tombée », explique M. Fouillet, en faisant référence à Avdïivka. « Vous avez donc besoin de temps pour remettre en place une ligne défensive. »

L’assaut russe sur Avdïivka a entraîné de lourdes pertes humaines et matérielles pour les forces russes. Les services de renseignement militaire britanniques ont indiqué qu’en moyenne, le nombre de soldats russes tués et blessés par jour en février, alors que Moscou concentrait une grande partie de ses forces à la lutte pour Avdïivka, était de 983, « le taux le plus élevé depuis le début de la guerre ».

Paroinen et Kuzan notent que les forces ukrainiennes profitent d’un terrain favorable. Alors que les troupes russes ont attaqué Berdychi, Orlivka et Tonenke à travers des champs ouverts et peu couverts, les unités ukrainiennes occupent les hauteurs des villages, ce qui permet de viser plus facilement les soldats russes qui s’approchent.

Si les troupes russes finissent par s’emparer des trois villages, on ne sait pas exactement quelles seront leurs prochaines étapes, le terrain étant vallonné et parsemé de ruisseaux et de réservoirs, ce qui complique toute nouvelle avancée.

M. Kuzan indique que l’armée russe attaque en ce moment de nombreux endroits tout au long de la ligne de front de plus de 1000 kilomètres afin de sonder les défenses de l’Ukraine.

« Les attaques qui seront prioritaires, par exemple dans deux jours ou la semaine prochaine, dépendront de la mesure dans laquelle elles parviendront à percer notre défense, explique-t-il. S’ils parviennent à percer notre défense, ils déploieront des réserves supplémentaires pour consolider leur succès. Voilà leur stratégie. »

Cet article a été d’abord été publié dans le New York Times.

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