(Ottawa) La petite Lettonie ne rigole pas avec la menace russe : d’ici 2027, le gouvernement devra consacrer 3 % du PIB au budget de la défense – et ce n’est pas un vœu pieux, puisqu’une loi adoptée par le Parlement l’y oblige. Le service militaire obligatoire a été rétabli. « Nous prenons ça très au sérieux », résume le ministre letton de la Défense, Andris Spruds.

Annexé de force et occupé par l’Union soviétique pendant des décennies, l’État balte n’a pas eu besoin d’attendre l’invasion à large échelle de l’Ukraine pour prendre conscience du danger de la « dictature impérialiste et expansionniste » de Moscou, note le ministre, qui était de passage à Ottawa la semaine dernière.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

La Lettonie, pays balte

Pas étonnant, donc, qu’à l’instar de ses voisins bordés par la mer Baltique, la Lituanie et l’Estonie, la Lettonie figure parmi les bons payeurs de l’OTAN.

Mais dépenser 2,27 % du PIB demeure insuffisant aux yeux de Riga, explique le ministre Spruds, non sans rappeler que les 2 % sont désormais considérés comme un plancher, selon la déclaration de Vilnius.

« La législation lettonne fixe des seuils très spécifiques à respecter : cette année, ce sera 2,4 %, ensuite 2,5 %, puis 2,75 %, et enfin 3 % en 2027. Alors oui, nous prenons ça très au sérieux », soutient-il en entrevue à l’issue de ses échanges avec son homologue Bill Blair, qui le recevait dans la capitale fédérale.

« J’ai compris de mes discussions ici que le Canada avait la volonté d’atteindre les 2 %. Il y a évidemment un enjeu d’échéancier, mais il y a un engagement », constate-t-il, évitant soigneusement de dire si son vis-à-vis canadien a partagé avec lui une feuille de route à ce sujet.

Retour de la conscription

La volonté se heurte à la réalité. Car les Forces armées canadiennes sont moribondes, si bien que seulement 58 % de leurs effectifs seraient en mesure de réagir à un appel de leurs alliés de l’OTAN en cas de crise, selon une note interne de la Défense nationale obtenue par CBC⁠1.

PHOTO INTS KALNINS, ARCHIVES REUTERS

Soldats canadiens lors d’un exercice militaire de l’OTAN en Lettonie, en 2020

Parmi les facteurs qui plombent l’état de préparation figure la pénurie de personnel. En date du 31 décembre 2023, il manquait 15 317 membres – 7895 de la Force régulière et 7422 de la Première réserve – sur des effectifs autorisés de près de 86 000, c’est-à-dire un déficit d’environ 18 %.

La Lettonie et ses deux millions d’habitants n’ont pas ce problème, d’autant plus que le gouvernement a rétabli le service militaire obligatoire en avril dernier.

À l’heure actuelle, nous avons environ 20 000 soldats. Nous espérons en avoir 61 000 prêts au combat éventuellement.

Andris Spruds, ministre letton de la Défense

L’heure n’est cependant pas à un déploiement de troupes de combat de l’OTAN sur le sol ukrainien, un scénario que n’a pas écarté le président français, Emmanuel Macron.

Et s’il fallait en arriver là, il faudrait que ce soit le fruit d’une décision « collective » des 32 pays membres de l’OTAN, plaide le politicien letton. « L’unité est fondamentale. Un pour tous et tous pour un, c’est une pierre d’assise de l’Alliance », insiste-t-il aussi.

Trump : à prendre avec un grain de sel

Passage obligé : un retour sur les propos du candidat républicain à la présidence Donald Trump. L’unité, ne la fragilise-t-il pas en invitant la Russie à faire « ce qu’elle veut » dans les États membres du traité transatlantique qui ne paient pas leur juste part ? Le Letton n’en fait que peu de cas.

Il y a une dynamique politique intérieure ; les États-Unis sont en campagne électorale. Évidemment, on peut être critiques face à certaines déclarations, mais il faut mettre les choses en perspective : les Américains ont toujours beaucoup contribué, y compris sous l’administration Trump.

Andris Spruds, ministre letton de la Défense

Avec le même souci de ne pas se mêler de politique intérieure, Andris Spruds se garde bien de critiquer le Canada pour son incapacité chronique à atteindre les fameux 2 %. Il préfère souligner le travail des quelque 1000 soldats canadiens stationnés en Lettonie dans le cadre de la mission Réassurance.

Des militaires qui, au demeurant, ont choisi de piger dans leur propre portefeuille afin de se procurer des casques balistiques modernes pour se protéger du bruit, mais aussi des équipements de base comme des vestes imperméables⁠2.

La coalition des drones

Dans le cadre de la visite du ministre Spruds, le Canada a annoncé qu’il se joignait à une coalition codirigée par la Lettonie et le Royaume-Uni, qui vise à fournir des drones à l’Ukraine. « En tant que membre de cette coalition capacitaire, le Canada continuera de chercher des moyens d’accroître les capacités de l’Ukraine en matière de drones », lit-on dans un communiqué de la Défense nationale. Le Canada a jusqu’à présent fait don de plus de 100 caméras spécialisées pour drones de fabrication canadienne, et le ministre Bill Blair a annoncé le mois dernier un don supplémentaire de plus de 800 drones fabriqués en Ontario.

1. Lisez l’article de Radio-Canada sur l’état de préparation des Forces armées canadiennes 2. Lisez l’article de CBC sur les militaires canadiens et leur équipement (en anglais)