Pourquoi les talibans interdisent-ils la musique ?

C’est la question qu’on se pose en découvrant l’étonnante histoire de l’Afghanistan National Institute of Music (ANIM). Et que l’on soumet à Ahmad Sarmast lors de notre entretien.

Le directeur de l’école n’a pas la réponse. Mais il a ses hypothèses.

Les talibans ont peur du pouvoir de la musique. Peut-être sont-ils conscients que la musique peut grandement contribuer à l’éveil des gens, et que c’est un outil puissant pour livrer des messages jusqu’aux coins reculés de l’Afghanistan.

Ahmad Sarmast, directeur de l’ANIM

Mais cela montre aussi l’ignorance des talibans quant à la relation entre musique et islam. « Il n’y a pas de référence explicite à la musique dans le Saint Coran. Ni contre ni en faveur. Or, si la musique n’est pas bannie dans le Coran, personne, y compris le prophète Mahomet, ne peut bannir la musique. »

Le directeur de l’ANIM précise que la musique n’a jamais été bannie dans un pays musulman, et ce, à aucun moment. « C’est un nouveau phénomène qui est principalement lié à une mésinterprétation du Coran, qui peut être liée aux formes les plus radicales de l’islam politique qui sont apparues récemment. »

PHOTO FOURNIE PAR AHMAD SARMAST

L’Orchestre Zohra, entièrement féminin, n’aurait sûrement pas plu aux talibans, qui sont contre la musique et contre l’éducation des femmes. L’ensemble pose ici en compagnie d’Ahmad Sarmast, directeur de l’ANIM.

L’école de musique, originellement située à Kaboul, ne pouvait courir le risque de demeurer au pays. Même si les « nouveaux » talibans s’annonçaient moins radicaux que ceux du premier régime (1996-2001), Ahmad Sarmast savait très bien que la menace était réelle.

« Pendant le premier régime, les talibans ont banni complètement la musique, explique-t-il. Les musiciens ont été mis en prison, les instruments de musique ont été détruits ou pendus dans les rues de Kaboul. C’était très frais dans ma mémoire. Donc, quand ils ont repris le pouvoir en 2021, malgré tout ce whitewashing [cet écran de fumée] dans les médias et les milieux politiques occidentaux, je savais qu’ils seraient pareils. »

PHOTO FOURNIE PAR ABISHEK ADHIKARY

L’Afghanistan National Institute of Music à Kaboul, avant l’exil

Le pressentiment de M. Sarmast s’est avéré juste. Depuis la fin 2021, la musique est de nouveau interdite en Afghanistan. Il est interdit d’en écouter et d’en jouer et surtout, d’en vivre. « Certaines personnes en jouent de façon clandestine. Mais publiquement, c’est interdit. Même les musiques enregistrées dans les mariages sont bannies », déplore M. Sarmast.

En juillet dernier, la BBC a rapporté que les talibans de la région d’Herat avaient brûlé « pour des milliers de dollars en instruments », dont des guitares, des amplificateurs, des harmoniums et des tablas. Selon le ministère taliban du Vice et de la Vertu, la musique causerait « la corruption morale ».

Les talibans et l’ANIM en cinq dates

1996

Premier régime taliban en Afghanistan

2001

Invasion américaine de l’Afghanistan. Fin du 1er régime taliban.

2010

Fondation à Kaboul de l’Afghanistan National Institute of Music (ANIM)

2014

Attentat à l’ANIM

2021

Retour des talibans et instauration du second régime taliban