L'homme qui m'accueille dans son modeste appartement de Jérusalem porte la kippa et une longue barbe grise. Ses paupières fatiguées tombent sur ses yeux doux et tristes. Il s'assied sur le canapé du salon, fixe son regard bleu clair dans le mien et raconte: «J'étais dans les Jeunesses hitlériennes.»  

Asher Ben Avraham est né à Nuremberg, en 1925. Il s'appelait Oskar Eder. Il était en deuxième année lorsqu'il a entendu parler des juifs pour la première fois. «Je jouais avec mes camarades dans la cour d'école, se souvient-il. Un garçon a trébuché et brisé une fenêtre en tombant. Il saignait et pleurait. Le concierge l'a frappé au visage, encore et encore, en lui disant: «Sale juif! Cochon de juif!»« «Après la récréation, nous avions un cours de catéchèse. J'ai demandé au prêtre ce qu'était un juif et pourquoi il avait été battu. Il m'a répondu que les juifs avaient tué notre Seigneur et qu'ils devaient souffrir.»

Pendant que M. Ben Avraham raconte son enfance baignée de propagande antisémite, sa femme, Hanna, sert du café et des biscuits. C'est une survivante de la Shoah. Sa famille a été massacrée par les nazis. Elle refuse d'en parler. Ni de son drame ni de la conversion de son mari. «Il est plus juif que moi», dit-elle, laconique.

Un parent d'Hitler à Tel-Aviv

M. Ben Avraham fait partie d'un étrange «mouvement de pénitence» en Israël, une subculture discrète de quelques dizaines d'Allemands convertis au judaïsme après la Deuxième Guerre mondiale. La plupart sont des enfants d'anciens nazis, qui ont cherché à expier les crimes de leurs parents de façon radicale: en rejetant leur propre identité pour se joindre à la communauté des victimes.

C'est ainsi que Michael Mach, éminent professeur de philosophie juive à l'Université de Tel-Aviv, prétend être le petit-fils du neveu d'Adolf Hitler. Le professeur, aujourd'hui juif orthodoxe, a refusé d'accorder une entrevue à La Presse. «Je ne veux pas divorcer de ma famille pour cette histoire», a-t-il expliqué.

C'est que les liens parentaux de M. Mach sont difficiles à assumer, en Israël plus que nulle part ailleurs. Ici, personne n'oublie que les fondations du pays reposent sur les cendres de six millions de victimes de l'Holocauste.

Quand le professeur a révélé son passé à un tabloïd israélien, il y a deux ans, ses enfants se sont fait traiter de nazis à l'école. Des voisins l'ont évité dans la rue. D'autres lui ont tourné le dos à la synagogue. Un de ses étudiants lui a dit: «Imaginez! Votre grand-père pourrait avoir transformé ma grand-mère en savon!»

Fils d'Abraham

Oskar Eder, lui, a été conscrit dans la Luftwaffe - l'aviation allemande - sous le Troisième Reich, mais affirme n'être «jamais sorti de la base d'entraînement», ignorant tout des crimes commis par sa nation durant la guerre. Quand il a compris ce qui s'était passé, le choc fut terrible.

Son âme torturée par le fardeau de la culpabilité, il s'est mis à chercher des réponses dans la philosophie orientale. En 1955, le jeune avocat, consultant pour une grosse banque allemande, a entrepris le voyage d'une vie. D'abord en Inde, puis au Pakistan - où il a étudié dans une école coranique - en Afghanistan, en Irak et en Jordanie. Et, enfin, en Israël.

C'était en 1957. «J'ai découvert un peuple normal, loin de ce que m'avait appris la propagande nazie et l'idéologie chrétienne. J'ai travaillé dans un kibboutz. La terre m'a attiré, je ne voulais plus faire partie de la congrégation des antisémites, et j'ai décidé d'embrasser le judaïsme.»

En 1968, Oskar Eder est donc devenu Asher Ben Avraham, guide touristique à Jérusalem. Il a beaucoup étudié la Torah. Avec l'aide d'un imam musulman, ce juif orthodoxe a fondé l'Israël-Islam Friendship Fellowship, qui fait la promotion de la bonne entente entre les trois religions monothéistes. «Je travaille à désamorcer les hostilités entre les fils d'Abraham», explique-t-il.

M. Ben Avraham dévoile rarement son passé à ses compatriotes. «C'est un trop gros choc, surtout pour les juifs d'Europe. Être confronté à un Allemand converti au judaïsme, pour eux, c'est trop difficile.» Sa femme l'écoute en silence. Ils se sont rencontrés dans une conférence internationale pour la paix.

«Je ne peux pas payer pour les péchés des autres. Je peux seulement tenter de me corriger moi-même, dit le vieil homme. J'ai avalé toutes ces histoires de juifs tueurs du Christ. Je les ai avalées parce que je ne connaissais rien d'autre. Et j'essaie de m'en débarrasser en faisant quelque chose de positif, en aidant les gens à trouver leur chemin hors de tout ce désordre.»