«Des roquettes continuent à tomber sur Ashdod et Ashkelon, et nous, on vient d'envoyer 175 millions de dollars au Hamas. Aucun pays au monde n'aurait accepté ça!»

Devant la salle bondée du centre culturel d'Arad, ville israélienne à la frontière du désert de Néguev, un homme énumère les dangers qui guettent Israël. Barbe poivre et sel, silhouette arrondie, c'est Avigdor Lieberman, la star de la campagne électorale en Israël.

Sa protestation contre le transfert de liquidités vers la bande de Gaza, dont les banques étaient à sec depuis l'offensive israélienne, est accueillie par des applaudissements.

«Lieberman! Lieberman!» scande la foule. Dans l'auditoire, beaucoup de gens sont munis d'appareils de traduction. Ce sont des Russes arrivés en Israël au cours des deux dernières décennies, et qui ne maîtrisent pas encore parfaitement l'hébreu.

Plus Avigdor Lieberman durcit le ton, plus ils applaudissent. L'orateur dirige ses invectives contre les lanceurs de roquettes de Gaza. Mais aussi, et surtout, contre les Arabes israéliens, qui forment 20% de la population du pays et à qui il reproche de «collaborer» avec l'ennemi. Sa principale cible: la dizaine d'élus arabes qui siègent à la Knesset, le Parlement israélien.

«Le député Abaz Zahour se dit fier du Hamas et il reçoit 33 000 shekels par mois du gouvernement israélien», dénonce une de ses pubs électorales.

Il y a quelques semaines, Avigdor Lieberman a voulu faire interdire les deux partis arabes représentés à la Knesset. Sa tentative a été neutralisée par la Cour suprême israélienne.

Sa bataille contre ce qu'il décrit comme une «cinquième colonne» en Israël est au coeur de son programme. Il propose de délester Israël de plusieurs villes à majorité arabe pour les céder à l'Autorité palestinienne. En échange, Israël pourrait garder ses implantations en Cisjordanie. Pour rester en Israël, les citoyens d'origine arabe seraient tenus de prêter un serment de loyauté à leur pays.

C'est un populiste de tendance fasciste, un Le Pen à la sauce israélienne, déplorent plusieurs analystes. N'empêche : Avigdor Lieberman est le grand vainqueur de la campagne électorale en vue des législatives de demain. Sa popularité a connu une ascension fulgurante. Son parti, autrefois marginal, a de bonnes chances de terminer en troisième place, devant les travaillistes.

«Nous serons la clé de la prochaine coalition gouvernementale», promet Lieberman à ses supporters. Et au désespoir de plusieurs, il a selon toute probabilité raison.

Poids lourd

«Si les Arabes veulent faire preuve de loyauté, très bien. Sinon, qu'ils ramassent leurs affaires et qu'ils s'en aillent», lance Vera Novikova, une septuagénaire arrivée en Israël il y a huit ans.

Mais qu'entend-elle par loyauté? L'adhésion à la guerre contre Gaza fait-elle partie du contrat? «Oui, c'est évident.»

Son compagnon, Naum Gorievitch, insiste pour dire que le Moyen-Orient n'est pas comme la mollassonne Europe. «Ici, nous avons besoin de leaders forts. Israël a besoin de quelqu'un comme Poutine!»

Israël compte un million de russophones, arrivés massivement dans les années 90. Dans ce pays de sept millions d'habitants, ils ont un gros poids électoral.

Avigdor Lieberman, qui était videur de bar en Moldavie, a immigré en Israël en 1978. Militant du Likoud, il a été chef de cabinet de Benyamin Nétanyahou à l'époque où il était premier ministre, à la fin des années 90.

C'est en 2004 qu'il fonde Yisrael Beitenou (Israël Notre Maison). Opposé à tout retrait de Gaza, il quitte la coalition d'Ariel Sharon. Puis il cause la surprise en remportant, en 2006, 11 sièges à la Knesset.

Cette année, les sondages lui accordent près d'une vingtaine des 120 mandats parlementaires. Il tire profit du désenchantement du public israélien face aux perspectives de paix avec les Palestiniens. Son image de politicien qui n'a pas peur de dire ce qu'il pense joue aussi en sa faveur.

L'argument de la peur

Provocateur, il a déjà proposé de bombarder les banques et les centres commerciaux palestiniens. Il a appelé à l'exécution des députés arabes qui rencontrent des leaders du Hamas.

«En jouant sur le sentiment primaire de la peur, Lieberman a réussi à rejoindre le grand public», constate l'analyste israélien Moshe Maoz.

Car il n'y a pas que des babouchkas dans l'auditoire du centre culturel d'Arad. «En Israël, nous voyons toujours les mêmes visages. Barak, Nétanyahou, on dirait qu'ils sont collés à leurs chaises. Avec Lieberman, il y aura du changement», se réjouit un ancien Montréalais, Jerry After.

«La France a eu Sarkozy, les Américains ont Obama; nous, on aura Lieberman», prévoit cet homme, selon qui la réalité politique forcera Lieberman à adoucir ses positions les plus controversées.

«Lieberman pousse sur les bons boutons, une majorité d'Israéliens aujourd'hui partagent ses doutes sur la loyauté de la population arabe», dit Tamar Herman, spécialiste de l'opinion publique israélienne.

Ces boutons-là n'agissent pas sur Mme Hermann. «Si Lieberman fait partie de la prochaine coalition gouvernementale, moi, je demande l'asile politique au Canada!» avertit-elle.

À la veille du vote, il semble qu'elle ait intérêt à préparer sa demande...