Vue de l'extérieur, Soha Béchara est une immigrée libanaise comme bien d'autres. Naturalisée suisse, elle élève deux petites filles à plein temps et s'engage socialement. Mais sa présence dans le café montréalais où elle raconte son histoire est des plus improbables: en 1988, elle devait mourir.

Cette année-là, la jeune Libanaise de 21 ans, élevée dans une famille chrétienne, laïque et communiste, a accepté une mission kamikaze d'un mouvement de résistance. Une mission à la Mata Hari.

 

Comme prévu, Soha Béchara s'est fait passer pour une professeure de gymnastique et a réussi à infiltrer le cercle restreint du général Antoine Lahad, chef de l'armée du Liban Sud, soutenue par Israël.

Comme prévu, la jeune femme opposée à l'occupation israélienne de son coin de pays a tiré deux balles dans la poitrine de sa cible.

Selon le plan, Antoine Lahad aurait dû y laisser sa peau. La jeune rebelle aussi. Mais le sort en a voulu autrement: le général a été grièvement blessé, mais il a survécu. Soha Béchara, elle, a atterri dans une geôle qui n'était sur aucun radar: la prison secrète de Khiam, en zone occupée.

Elle y a passé 10 ans, sans être accusée et sans avoir de procès. Elle relate avoir été torturée à répétition et maintenue en isolement. Pendant deux ans, elle a dû survivre dans une cellule à peine plus grande qu'un classeur.

Sans regret

«Malgré tout, jamais une seule fois je n'ai laissé le regret se faire une place jusque dans mon esprit ou dans mon coeur», laisse-t-elle tomber aujourd'hui, plus de 10 ans après qu'une grande campagne internationale, chapeauté par Amnistie internationale, eut réussi à la faire libérer.

Depuis sa libération, en 1988, Soha Béchara a refait sa vie en Europe. Elle était à Paris en mai 2000, quand les troupes israéliennes se sont retirées du Liban Sud, qu'ils occupaient depuis 1978. «Ce jour-là, de Paris, je disais aux journalistes que rien n'était terminé. Il y a toujours une occupation en cours», dit-elle, en référence à l'occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza.

Membre d'Urgence Palestine, Soha Béchara sillonne maintenant la planète pour parler de la situation des Palestiniens, qu'elle compare à ses années de détention dans la prison de Khiam. «Quand ça perdure dans l'histoire, c'est encore pire que ce que j'ai vécu. Il y a maintenant trois génération de Palestiniens qui ont vécu une situation de détention.» Elle en veut pour preuve le blocus imposé à Gaza et le mur qui sépare Israël de la Cisjordanie.

À Montréal

C'est pour parler de son expérience et de la situation dans les territoires occupés que Soha Béchara est à Montréal cette semaine. Après avoir prononcé un discours à l'Université de Montréal dans le cadre d'une conférence entourant la Journée internationale des femmes, elle a participé à la Semaine contre l'apartheid israélien, une série d'activités militantes et de conférences qui se déroule actuellement à l'Université Concordia.

C'est la première visite de l'ancienne prisonnière politique en Amérique du Nord. Mais son histoire, elle, est connue depuis plusieurs années des mordus de théâtre. C'est en s'inspirant de sa vie que le dramaturge montréalais Wajdi Mouawad a écrit la pièce Incendies, qui sera bientôt portée au grand écran.

Soha Béchara, qui fait figure d'héroïne dans certaines régions du Liban, est consciente que ses opinions, très critiques à l'égard d'Israël, non plus que son passé, ne font pas l'unanimité.

Récemment, elle a dû s'adresser aux tribunaux de Suisse après que des groupes de droite eurent lancé une campagne contre elle, qu'ils ont qualifiée de «terroriste» sur plusieurs tribunes.

«J'ai fait une plainte pour diffamation. On ne peut pas accuser quelqu'un de terrorisme comme ça. Ça prend des preuves. Le terrorisme, c'est mettre en jeu la vie de civils dans le but de terroriser.» Elle estime que le geste qu'elle a commis ne s'y apparentait pas. Elle a remporté sa cause à la fin de 2008.