Jusque-là, c'était une foule de manifestants anonymes. Depuis hier, la résistance iranienne a un visage, celui de Neda, morte par balle samedi à Téhéran et dont on a vu l'agonie comme si on y était, dans une vidéo largement diffusée sur l'internet.

En début de journée, hier, Neda Agha-Soltan était donc une image, celle d'une jeune femme de 26 ans dont on voit d'abord les yeux. Des yeux révulsés qui bientôt s'éteindront alors qu'autour d'elle des gens appuient désespérément sur sa poitrine pour tenter de stopper l'hémorragie. C'est déjà trop tard. S'écoulant à grands flots de sa bouche et de son nez, son sang se répand partout sur le pavé, le tout capté par un téléphone cellulaire.

Pour les uns, Neda, c'est la Jeanne d'Arc iranienne; pour les autres, la martyre de la résistance, une martyre 2.0, a même titré l'hebdomadaire français L'Express pour bien illustrer sa fin très publique et démultipliée dans tous les sites internet. Une martyre qui porte le jean et le foulard noir imposé aux femmes dans le régime islamiste iranien.

Dans une déclaration très sentie, hier, Reza Pahlavi, le fils de l'ancien shah d'Iran, a dit qu'il considérait désormais Neda comme l'une de ses filles. "Je garderai pour toujours une photo d'elle avec moi, dans mon portefeuille."

Selon les agences de presse, les autorités, conscientes de la force de ce nouveau symbole, ont exigé de la famille qu'elle ne tienne aucune cérémonie funèbre, qu'elle ne parle pas publiquement et qu'elle retire les bannières noires de deuil à l'extérieur de la maison. Les amis de Neda ne se sont pas tus pour autant.

Avec trois de ses amis, la jeune Iranienne se rendait donc manifester peu après 18h30, samedi. Comme ils étaient pris dans un gros bouchon de circulation, Hamid Panahi, qui était le professeur de musique de Neda, est sorti de la voiture pour prendre un peu d'air et se délier les jambes. Il a alors entendu un bruit, s'est retourné et il a vu Neda, effondrée par terre. "Elle n'avait pas le moindre caillou dans la main, mais ils l'ont abattue. Il a suffi d'une seule balle", a-t-il dit.

Sur la vidéo, on entend un homme aux cheveux gris - possiblement Panahi - répéter et répéter: "N'aie pas peur, n'aie pas peur, n'aie pas peur, Neda chérie, n'aie pas peur". Neda aurait tout juste eu le temps de dire que ça lui brûlait, que ça lui brûlait terriblement. On aurait tenté de la transporter à l'hôpital, mais elle était déjà morte.

Récupération?

Selon le Los Angeles Times, Neda Agha-Soltan serait née à Téhéran, d'un père qui travaille au gouvernement et d'une mère au foyer. Deuxième de trois enfants, elle avait étudié la philosophie islamique à l'Université Azad de Téhéran et travaillait dans l'industrie touristique. Elle avait un peu voyagé. Il y a à peine deux mois, elle était en Turquie, profitant de vacances au bord de la Méditerranée. Elle adorait la musique populaire perse et était elle-même une excellente chanteuse.

Elle était fiancée à Kaspeen Makan, qui a tenu hier à rectifier quelques faits. Neda n'était pas une activiste, a-t-il insisté. C'était une électrice qui militait pour la liberté, tout simplement. M. Makan a dénoncé la récupération qui a été faite de la mort de sa fiancée, alléguant que la photo la montrant portant le bandeau vert caractéristique des partisans du candidat Mir Hossein Mousavi était truquée. "Elle ne militait pour aucun camp. Elle était pour son pays, pour que son pays fasse un pas en avant."

Un Iranien en exil, un certain Hamed, s'est présenté au journal britannique The Guardian comme étant celui qui aurait posté la vidéo sur l'internet. Il discutait dans le site Facebook avec un ami qui lui aurait raconté que sa femme venait tout juste de rentrer à la maison, les vêtements couverts du sang d'une jeune femme. D'appels en courriels, Hamed aurait été mis en contact avec un Iranien qui possédait la vidéo et qui lui aurait demandé de la poster sur l'internet.

Avec Associated Press, Los Angeles Times, The Guardian