Le député Amir Khadir a le coeur du côté de Téhéran ces jours-ci. Unique représentant de Québec solidaire à l'Assemblée nationale, ce médecin a quitté l'Iran en 1971 pour fuir, avec ses parents, la répression du schah. Depuis l'élection présidentielle du 12 juin, il est régulièrement en contact avec des proches restés dans son pays natal. Il leur parle tous les deux, trois jours, question de s'assurer qu'ils vont bien et de "prendre l'air du temps". Il a partagé ses observations avec La Presse hier, à l'occasion d'une conversation téléphonique.

Q: Qu'est-ce qui vous frappe dans les événements récents en Iran?

R: Ce qui me frappe le plus, c'est la détermination des gens. Tout récemment, la femme d'un cousin me disait qu'ils n'allaient pas laisser tomber. Il y a toujours ces clameurs dans la ville, la nuit, quand les gens montent sur les toits pour crier "Allah Akbar". L'intimidation et la peur, ça ne marche pas tellement. Pourtant, les milices sont effrayantes, avec leurs motos et leurs armes.

Q: On a pourtant l'impression que les manifestants se font moins nombreux, non?

R: Les gens ne veulent pas mettre la vie des manifestants en danger, ils revoient leur stratégie. Les groupes de jeunes organisent maintenant des manifestations éclair, de façon sporadique et aléatoire. Ils restent pendant 15 minutes à un endroit, le temps que ça prend aux policiers pour arriver. Mais je crois qu'ils sont aussi en train de préparer une démonstration de force plus grande dans quelques jours.

Q: Que veulent au juste les manifestants? Réformer le régime ou l'abolir?

R: Il y a beaucoup d'éléments dans ce nouveau pouvoir de la rue qui s'est approprié la campagne de Moussavi, mais qui l'a largement dépassé sur sa gauche. Pour ces gens, Moussavi n'est pas un idéal ou un aboutissement, mais plutôt un véhicule pour déjouer le régime et affaiblir de façon durable la structure de pouvoir théocratique. Mais il faut savoir que beaucoup de gens allaient voter non seulement contre le caractère rigoriste du régime, mais à cause du danger d'une intervention armée israélienne en cas de réélection d'Ahmadinejad. Ils voulaient neutraliser le prétexte qu'Ahmadinejad donne à la droite au pouvoir en Israël.

Q: Est-ce que Moussavi représente aussi un véhicule pour les femmes qui veulent faire avancer leurs droits en Iran?

R: Vous avez peut-être vu ces images de manifestations où des femmes, voyant une caméra, ouvraient leur main droite, où elles avaient inscrit le mot femme et un signe d'égalité, puis leur main gauche, où il y avait le signe d'égalité suivi du mot: homme. Oui, le mouvement des femmes est très présent.

Q: Sur quoi misent les protestataires?

R: Il y a beaucoup de rumeurs à Téhéran sur les fissures au sommet du pouvoir. Ça alimente l'espoir et l'audace. Ces rumeurs reposent sur des faits réels. Les voix critiques viennent de partout, de grands ayatollahs comme d'anciens hauts dirigeants du régime. Un ancien gardien de la révolution exilé en Occident dit que, selon ses sources, la moitié des membres de la direction des Gardiens de la révolution ne veulent pas intervenir contre les manifestants, par exemple.

Q: À quoi doit-on s'attendre maintenant?

R: Les manifestations urbaines vont se poursuivre. Il y aura de la répression. Mais à terme, c'est une situation irrémédiable et sans retour. Je ne vois pas comment le régime théocratique et le pouvoir du guide suprême peuvent se sortir indemnes de cette confrontation.

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Veille de soutien



Une veille de soutien au mouvement de contestation iranien aura lieu ce soir, à compter de 21h, à l'angle de la rue Peel et du boulevard René-Lévesque, à Montréal.