Le régime de Zine el-Abidine Ben Ali, régulièrement montré du doigt par les organisations internationales de défense des droits de la personne, utilise le cas de Saïd Jaziri pour chercher à faire taire ses critiques.

Tunis a notamment évoqué en juin la situation de l'imam, qui avait été expulsé du Canada à l'automne 2007, pour nier que les détenus d'origine tunisienne de la prison américaine de Guantánamo risquent d'être maltraités s'ils rentrent au pays.

 

Le gouvernement rappelle que le rapatriement de M. Jaziri s'était accompagné d'allégations similaires «émanant de certains milieux».

«Lors de son arrivée en Tunisie, M. Saïd Jaziri, ne faisant pas l'objet de poursuites, n'a été ni arrêté ni déféré en justice. Il vit actuellement paisiblement parmi les siens», souligne le régime dans un communiqué officiel.

M. Jaziri, que La Presse a joint hier par téléphone à Tunis, a indiqué qu'il n'avait «pas de problème» avec le gouvernement local. «La Tunisie a été beaucoup plus humaine avec moi que le Canada», a-t-il souligné, faisant écho à des propos tenus peu après son extradition.

Recours systématique à la torture

En revanche, selon Rhadia Nasraoui, une avocate qui défend plusieurs détenus tunisiens, le recours à la torture est «toujours systématique» dans le système carcéral et policier, quoi qu'en dise le régime. «Ça n'a pas changé du tout», a-t-elle indiqué hier par téléphone.

La militante estime que les autorités utilisent stratégiquement le cas de Saïd Jaziri, qui a été largement médiatisé, pour vendre l'idée que les abus n'existent pas dans le pays. L'imam avait indiqué qu'il craignait d'être torturé s'il était renvoyé en Tunisie.

Dans son plus récent rapport, Amnistie internationale relève que «des cas de torture et de mauvais traitements dans les postes de police et les centres de détention» de la Tunisie ont été signalés en 2008 «comme les années précédentes».

Le document cite le cas de Jaber Tabalsi, un homme arrêté lors de manifestations survenues dans la région minière de Gafsa. Selon l'organisation, il a été frappé à plusieurs reprises avant de se faire enfoncer un bâton dans l'anus. Il a aussi dû recevoir 16 points de suture pour une blessure à la tête.

Mme Nasraoui a représenté plusieurs personnes arrêtées à l'occasion des manifestations de Gafsa qui disent toutes avoir été torturées. Elle soutient avoir elle-même constaté que plusieurs avaient des blessures.

«Lors du procès, les policiers qui les ont torturées venaient dans la salle d'audience pour les narguer», a souligné la militante, qui parle d'une «impunité totale» pour les responsables d'abus.

Beaucoup de bruit pour rien

Un membre de l'ambassade de Tunis à Paris qui a refusé de se nommer a indiqué hier que le cas de M. Jaziri avait suscité inutilement «beaucoup de bruit», la preuve étant que l'imam est «libre».

Le porte-parole, qui s'est décrit simplement comme «un diplomate», a répété qu'il n'y avait aucune violation des droits de la personne dans son pays, reprenant la position officielle du régime.

Le régime en place peut compter sur l'appui inconditionnel de la France, avec laquelle il entretient des liens politiques et économiques étroits.

Le président français, Nicolas Sarkozy, a été pris à partie en mai dernier par les organisations de défense des droits de la personne pour avoir omis de critiquer publiquement le gouvernement.

«Je ne vois pas au nom de quoi je me permettrais, dans un pays où je suis venu en ami et qui me reçoit en ami, de m'ériger en donneur de leçons», a indiqué dans un discours le chef d'État avant de se féliciter que «l'espace des libertés progresse» dans le pays.

La présidence française a annoncé, à l'occasion de la visite, que la compagnie aérienne Tunis Air avait passé une commande ferme, d'une valeur estimée à un milliard d'euros, pour une quinzaine d'appareils de l'avionneur franco-allemand EADS. Alstom a parallèlement obtenu un contrat de 360 millions d'euros pour la construction d'une centrale thermique.