Après de lourdes pressions des gouvernements occidentaux, le président afghan sortant, Hamid Karzaï, s'est résigné hier à participer à un deuxième scrutin, le 7 novembre prochain, pour mettre fin à l'incertitude et à la contestation qui a entouré le premier tour de l'élection présidentielle du 20 août dernier. L'Afghanistan aura-t-il assez de 18 jours pour sauver sa démocratie? Portrait d'un vote qui pourrait ne jamais avoir lieu.

Q: Pourquoi y aura-t-il un second vote?

R: Lundi, la Commission des plaintes électorales afghane a annoncé qu'elle a décidé d'écarter près d'un million de bulletins de vote, jugés frauduleux. Hier, la Commission indépendante électorale a confirmé, qu'après l'exclusion des bulletins, le président sortant Hamid Karzaï n'obtient que 49,6% des voix enregistrées lors du premier tour de l'élection présidentielle et tombe du coup sous la barre du 50% nécessaire pour accéder à la présidence. Dans cette situation, la Constitution du pays prévoir un second tour.

 

Q: Qui Hamid Karzaï affrontera-t-il le 7 novembre?

R: Son seul rival sera Abdullah Abdullah, son ancien ministre des Affaires étrangères. Ce dernier, après la révision du scrutin, a remporté près de 32% des voix. Âgé de 49 ans, cet ancien chirurgien est le parfait mélange des deux principaux groupes ethniques afghans: mi-pachtoune, mi-tadjik. Cependant, ses liens étroits avec l'Alliance du Nord (il a été le porte-parole du général Massoud avant son assassinat en septembre 2001) le rendent plus populaire dans les régions tadjiks du pays. Pachtoune, Hamid Karzaï a pour sa part un large soutien dans le sud du pays. Avant l'élection du 20 août, il avait conclu de nombreuses alliances avec des chefs tribaux et des seigneurs de la guerre. Sa victoire demeure presque assurée.

Q: Pourquoi tenir un deuxième scrutin si l'issue est déjà connue?

R: Selon Nicolas Lemay-Hébert, directeur de l'Observatoire sur les missions de la paix, le deuxième scrutin a pour principale cible l'opinion publique américaine, de moins en moins favorable à la mission militaire et humanitaire en Afghanistan. «Les États-Unis doivent montrer qu'ils ont un interlocuteur crédible en Afghanistan», note l'expert, en rappelant que le président Barack Obama doit bientôt dévoiler son plan pour le pays. Hier, la main de l'Oncle Sam dans la décision d'Hamid Karzaï d'accepter un second tour était très visible. Le chef d'État a fait sa conférence de presse aux côtés de John Kerry, l'ancien candidat démocrate à la Maison-Blanche, en 2004, aujourd'hui président du comité sénatorial sur les affaires étrangères.

Q: Les autorités afghanes seront-elles capables d'organiser des élections en moins de trois semaines?

R: Rien n'est moins sûr. Certes, les bulletins de vote sont déjà prêts pour la confrontation entre les deux hommes, mais il reste beaucoup d'inconnues. Qui supervisera le vote? L'impartialité de la Commission indépendante électorale afghane a été maintes fois mise en doute. Les superviseurs des milliers de bureaux de scrutin du pays devront pour leur part être remplacés. Dans plusieurs cas, ceux qui ont fait ce travail le 20 août dernier ont contribué aux fraudes électorales massives. Former une armée de nouveaux superviseurs en 18 jours semble presque impossible. Une des solutions envisagées est d'avoir recours à des observateurs étrangers.

Q: La prévention des fraudes électorales est-elle le seul défi de ce second tour?

R: Absolument pas. La sécurité et la participation électorale en sont deux autres. Lors du scrutin du 20 août, seulement un électeur afghan inscrit sur trois, soit cinq millions de citoyens, s'est rendu aux boîtes de scrutin. Les récentes fraudes électorales pourraient en convaincre plusieurs de ne pas répéter l'expérience. Les menaces des talibans, qui s'opposent au vote, en convaincront d'autres de rester à la maison. Une participation encore plus faible pourrait à nouveau fragiliser le processus démocratique. Troisième facteur important: plusieurs régions montagneuses du nord-est de l'Afghanistan seront sous la neige le 7 novembre et donc coupées du reste du pays. Ce dernier élément sera principalement défavorable à Abdullah Abdullah, qui y trouve une partie importante de ses appuis.

Q: Quels événements pourraient faire dérailler la tenue d'un deuxième tour?

R: Des négociations sont présentement en cours entre les proches d'Hamid Karzaï et d'Abdullah Abdullah pour conclure une entente de partage du pouvoir. Selon des sources contactées à Kaboul, les deux hommes se seraient déjà réparti les différents ministères et approcheraient d'un accord. Hier, Abdullah Abdullah a laissé savoir qu'il est toujours «prêt à dialoguer». Dans les coulisses de la communauté internationale à Kaboul, il est aussi question de reporter le scrutin au printemps pour qu'il coïncide avec l'élection parlementaire. Une administration intérimaire pourrait alors assurer la transition.