Un cri guttural s'élève quand le pénitent chiite afghan appuie ses coups. «O Hussein, O Hussein !» Les lames acérées creusent des sillons rouges dans son dos. Puis, il s'écroule. «Tu t'es sacrifié, arrête-toi maintenant», dit un autre chiite en le soutenant.

Autour de lui, des dizaines d'autres hommes, torse nu, font voler leurs chaînes, en une danse saccadée. Les chairs rougissent. Des seaux d'eau servent à nettoyer les lames coupantes, longues de sept à huit centimètres.

«O Hussein, O Hussein !!!», lancent en choeur ces jeunes Afghans sous le regard de centaines de chiites et de curieux rassemblés au centre de Kaboul.

L'air se remplit de sang qui fouette les visages des spectateurs. Des hommes épongent régulièrement les dos meurtris des pénitents. Des flaques rouges se forment sur le goudron.

La police, qui s'est déployée en force aux alentours, comme dans tout Kaboul, veille à ce que la foule n'approche pas trop ceux qui rejouent le martyr de l'imam Hussein, petit-fils du prophète Mahomet et fils d'Ali, tué en 680 par les troupes du calife omeyyade lors d'une bataille dans le désert de Kerbala.

«C'est un honneur d'honorer Hussein. J'ai répété l'opération cinq fois. Je pense que Dieu m'a entendu», dit Abdul, un Chiite de 20 ans, qui grelotte et se réchauffe avec un peu de lait chaud.

Près de là, des centaines de personnes continuent d'affluer, sous la banderole de leur mosquée. Des échoppes vendent thé et foulard.

Des chevaux parés de boucliers et de tissus verts mènent le défilé.

L'Achoura constitue le temps fort du rite de l'islam chiite. En Afghanistan, un pays frontalier de l'Iran chiite, près de 20% de la population communie avec le martyr de l'imam Hussein.

Dans l'ouest de Kaboul, à Chendawol, le quartier historique chiite accueille 5 000 à 6 000 personnes pour les commémorations.

Des scènes d'auto-flagellation se sont déroulées dans tout le pays, notamment à Mazar-e-Sharif (nord), Herat (sud-ouest), Kandahar (sud) mais aussi dans la province de Bamiyan (centre), une région majoritairement chiite.

La communauté chiite fait la part belle aux Hazaras, une minorité d'origine mongole.

Dès jeudi, des milliers d'entre eux ont afflué à Kaboul, notamment dans la mosquée Takiakhane-Omumi, à Chendawol.

«L'Achoura est un message pour le renforcement de la paix et de la stabilité dans le pays», déclare à l'AFP le mollah Sayed Raza Hojjat.

«Notre seul espoir est l'unité. Et aucun de nos problèmes ne sera résolu par la guerre», estime-t-il en référence à l'insurrection croissante des talibans dans le pays.

En Iran, des mollahs influents ont bien interdit la pratique de l'auto-flagellation. Mais à Kaboul, comme dans plusieurs pays chiites, le message n'est pas passé.

La communauté chiite, dont la composante hazara a longtemps été bafouée, est réputée assez étrangère aux mouvements d'insurgés qui combattent les forces afghanes de sécurité et les troupes de l'Otan.

En février 1993, de 200 à 300 Hazaras avaient été tués dans le quartier d'Afshar, dans l'ouest de Kaboul, selon l'ONU.

Les partisans du chef de guerre Abdul Rab Rassoul Sayyaf, un islamiste pachtoune aujourd'hui député, ont été mis en cause dans ce massacre, mais aussi des Tadjiks proches de l'ex-président Burhanuddin Rabbani, lui aussi député.

«Nous voulons apprendre des forces étrangères la discipline pour nos propres forces de sécurité parce qu'elles sont mal entraînés. Quand elles seront prêtes, nous demanderons aux forces étrangères de partir», dit Sayed Raza Hojjat.