Depuis l'attentat manqué de Detroit, les yeux du monde sont tournés vers le Yémen, où Al-Qaeda - qui a revendiqué l'attentat - est implanté. Mais Al-Qaeda est loin d'être le seul problème de ce pays, le plus pauvre du Moyen-Orient. Survol en cinq questions.

Q: Que sait-on de la présence d'Al-Qaeda au Yémen?

R: Cette présence est loin d'être récente, selon Sami Aoun, expert du Moyen-Orient au département de science politique de l'Université de Sherbrooke. Dès la guerre d'Afghanistan contre l'Armée rouge (1979-1989) - conflit qui est à l'origine de la création d'Al-Qaeda -, la plupart des combattants arabes venaient du Yémen. La famille d'Oussama ben Laden, leader principal de la nébuleuse djihadiste, est aussi originaire du Yémen, bien qu'elle ait été naturalisée saoudienne.

 

Q: Pourquoi s'intéresser maintenant à la présence d'Al-Qaeda au Yémen?

R: Longtemps, il y a eu un accord tacite de non-agression entre le pouvoir central au Yémen et Al-Qaeda, mais cette entente s'étiole de jour en jour. Depuis 2008, on y note la montée d'une section distincte de l'organisation terroriste, baptisée «Al-Qaeda de la péninsule arabique» (AQPA), sous la direction de Nasser Al-Wahishi. Ce dernier s'est évadé de prison en 2006. Il est devenu l'émir de l'AQPA l'an dernier.

Son organisation a notamment revendiqué l'attentat manqué de Detroit et celui contre l'ambassade américaine au Yémen en 2008.

Selon Gregory Gause, professeur à l'Université du Vermont, les leaders de l'AQPA sont issus d'une nouvelle génération de combattants d'Al-Qaeda. Leurs ennemis jurés sont la dynastie qui gouverne l'Arabie Saoudite, les États-Unis et, depuis peu, le gouvernement yéménite d'Ali Abdallah Saleh, qui se rapproche de l'administration Obama. L'an dernier, pour la première fois, les États-Unis ont accordé une aide militaire de plus de 70 millions de dollars au pouvoir central de Sanaa.

Q: L'armée yéménite combat-elle activement Al-Qaeda?

R: Oui, depuis peu. À la fin décembre, l'armée a procédé à des frappes aériennes dans le sud du pays, y tuant, selon ses estimations, une soixantaine d'insurgés. Hier, l'état-major a dit poursuivre le combat et avoir éliminé deux autres membres d'Al-Qaeda.

Q: Est-ce la seule bataille que mène l'armée yéménite?

R: Absolument pas. Le principal conflit qui fragilise le pays et, du coup, favorise l'expansion d'Al-Qaeda se trouve dans le Nord. Des rebelles appartenant à la mouvance chiite zaydite, les huthis, combattent les forces gouvernementales dans les provinces qui entourent la ville de Saada et revendiquent l'autonomie. Sous prétexte que les huthis sont les protégés du régime chiite iranien, l'Arabie Saoudite est récemment intervenue militairement. Des dizaines de personnes ont été tuées l'an dernier et plus de 175 000 personnes ont été déplacées. L'armée combat aussi d'autres séparatistes dans le Sud du pays.

Q: Qui sont les séparatistes du Sud?

R: Jusqu'en 1990, le Sud était indépendant et était dirigé par un gouvernement marxiste soutenu par l'Union soviétique. Depuis l'annexion du Sud au reste du Yémen, des leaders séparatistes sont toujours actifs. Une guerre civile dans la région en 1994 a semé le ressentiment au sein de la population, à majorité sunnite. Les indépendantistes du Nord comme ceux du Sud dénoncent notamment la brutalité et la corruption du régime central, qui se tient au pouvoir depuis quatre décennies. «Al-Qaeda n'a pas créé la violence et les turbulences au Yémen», conclut Sami Aoun, notant que le Yémen est un État fragile «au bord d'être un État échoué».

- avec Le Monde, The New York Times et International Crisis Group.